400, 500, 1000 ? Personne ne sait combien il y a de jeunes, parfois mineurs, réfugiés tunisiens dans les rues parisiennes. Depuis la chute de Ben Ali, la France et l'Italie se déchirent sur l'accueil des Tunisiens ayant fui leur pays, souvent dans des boat-people. Paris. De notre correspondant
Rien à faire sinon errer dans le Parc de la Villette. Ils sont repérables très vite. Ils se déplacent en petits groupes et viennent pour la plupart de la région de Zarzis, dans le Sud tunisien. Les migrants sont très jeunes, rares sont ceux qui dépassent les 25 ans. Très mince, le visage noirci par le soleil, Zoheir soufflera sa 20e bougie en juillet. Il ne doute pas que d'ici là sa situation administrative sera régularisée. Comme nombre de ses amis d'infortune, il loge chez un parent éloigné. «Je ne savais pas que je me retrouverai dans ce cauchemar, j'étais convaincu que tout serait fini à mon arrivée à Paris. C'est dur, vraiment dur. Je ne supporte plus rien. Même avec mes amis, c'est intenable !», se plaint-il. Arrivé à Lampedusa après 20 heures de traversée, l'enfant de Zarzis ne veut plus parler de son passé récent. Il laisse entendre que son séjour sur l'île italienne a été éprouvant, mais refuse de s'y attarder. «Ils sont naïfs ou alors d'un optimisme dangereux. J'ai discuté avec plusieurs d'entre eux, surtout des diplômés. Ils croyaient que la France allait leur délivrer des cartes de séjour, leur trouver un travail équivalent à leur niveau d'études et un logement ! C'est comme s'ils n'avaient jamais entendu parler de la crise ni du climat politique», témoigne Houria, une militante associative. Les rêves du Parc des chemins de fer Les févriéristes sont pris dans la tourmente. Arrivés pour la plupart de Lampedusa en février, ils se sont regroupés dans le XIXe arrondissement de Paris. Ils sont logés chez des proches, et ceux qui n'ont pas de famille dans la capitale squattent le parc de la rue des Chemins de fer ou des cabanes de fortune sous les ponts du périphérique. Spontanément, des Tunisiens installés dans la région parisienne sont venus leur apporter une aide. Un entrepreneur tunisien héberge dans ses locaux d'Aubervilliers une trentaine de réfugiés. «Cette situation est précaire. Les réfugiés sont à bout, ils ne voient pas de solution. La préfecture de Paris est ferme, elle refuse de les régulariser. Comme ils sont démunis, ils passent leurs journées à ressasser leur passé et à se plaindre du présent. Leur présence continue dans les parcs crée des tensions avec les riverains, et même entre eux. Il y a déjà eu des bagarres, l'un d'eux a même eu le visage balafré», témoigne Houria. Pour médiatiser leur mouvement et trouver un lieu d'hébergement, une centaine de jeunes migrants ont occupé, lundi 2 mai, un immeuble vétuste de la mairie de Paris. «Nous vivons dehors, passons de 24 à 36 heures sans fermer l'œil, nous avons peur, nous avons froid, nous avons faim et manquons de tous les besoins fondamentaux de la vie quotidienne», a expliqué dans un communiqué le «Collectif des Tunisiens de Lampedusa à Paris». Les membres de ce collectif ont déployé une banderole sur le bâtiment : «Ni police ni charité, un lieu pour s'organiser». «2000 euros et j'me casse» Mercredi après-midi, la police a délogé les occupants de la rue Simon Bolivar. Les migrants ont été emmenés dans des commissariats pour des vérifications d'identité. Bon nombre d'entre eux se sont vu signifier l'ordre de quitter le territoire français. Cette situation est devenue aussi un bras de fer entre la mairie de Paris et l'Etat. La Ville de Paris a renforcé son dispositif d'aide : l'association «France terre d'asile» qui propose actuellement 100 places d'hébergement va progressivement passer à 130 places et l'association «Aurore» a ouvert 80 places. La Ville de Paris critique l'attitude de l'Etat qui «refuse d'adapter même modestement l'aide au retour afin de permettre à ceux des ressortissants tunisiens intéressés d'envisager une telle issue dans des conditions dignes». Ahmed Chalibi s'emporte : «Nous n'en pouvons plus, nous voulons rentrer chez nous ! Les policiers français se comportent comme la police tunisienne de Ben Ali. Nous voulons une aide au retour, nous nous expulserons nous-mêmes.» Selon différents témoignages, les réfugiés sont allés au consulat de Tunisie pour obtenir une aide financière, notamment des billets d'avion, mais ont essuyé un refus poli : les caisses sont vides. Ils se tournent alors vers l'Etat français pour obtenir 2000 euros d'aide au retour volontaire pour quitter le territoire. La France dont ils rêvaient depuis le Sud tunisien n'est pas celle qu'ils ont découverte. «C'est dur, c'est dur, c'est un cauchemar ! Même la tour Eiffel n'est qu'un amas de fer. On a voulu voir la France, on l'a vue, on veut maintenant rentrer.» «Prends 300 euros et le premier avion» L'Etat français a opté pour la fermeté. «Chaque jour, entre le retour en Italie et le retour en Tunisie, il y a de l'ordre de 60 à 70 personnes qui quittent notre territoire», a déclaré le ministre de l'Intérieur, Claude Guéant. A propos du montant de l'aide au retour que les Tunisiens concernés voudraient toucher, il a précisé qu'«il est prévu qu'il puisse y avoir une aide au retour de 300 euros pour des personnes se trouvant en situation irrégulière. C'est donc une aide de 300 euros qui est accordée à toute personne venant de Tunisie et qui veut rentrer au pays.» La situation administrative des migrants tunisiens est kafkaïenne. Ils ne sont pas «expulsables» vers leur pays d'origine, car ils bénéficient d'un titre de voyage officiel délivré par les autorités italiennes. Les renvoyer en Italie, comme c'est le cas actuellement, est assez hypocrite car ils peuvent revenir à Paris à tout moment. Paradoxalement, selon le ministère de l'Intérieur, le quota de 9000 titres de séjour alloué aux Tunisiens par la France en vertu d'un accord entré en vigueur en 2009, n'a pas été rempli «pour des raisons essentiellement administratives» en 2010.