Des associations marseillaises en collaboration avec la maison de la culture Mouloud Mammeri ont organisé un hommage à Kateb Yacine du 2 au 5 décembre. Le public comme de coutume est au rendez-vous, une poignée de conférenciers, une généreuse troupe de théâtre, deux associations culturelles interméditerranéennes, quelques journalistes et de rarissimes universitaires. Allah soit loué, la mémoire de Yacine n'aura pas été polluée par les médiocres escrocs, les marchands de tapis et de la soierie polynésienne qui font commerce de son texte. Tizi Ouzou (Algérie), Le 4 décembre 2005 A dire vrai, les masques sont tombés. Le discours katébien ne sera pas institutionnalisé, ni chloroformé en simple appareil paratextuel ; pas cette fois-ci. Kateb n'est pas encore vaincu et encore moins récupéré par la cohorte des Beni Qawed (sic, L'œuvre en fragments). La cavalerie numide, la rude humanité prométhéenne veillent toujours au milieu du cercle des représailles autour du cadavre encerclé, assisté post mortem par Nuage de Fumée le facétieux philosophe diogénique, amant de Attika et amateur de chanvre indien, grand dégustateur de crues des vendanges tardives du « sang de lion » Grenoble, (France) 1989 L'amant de Nedjma consume ses derniers pétards en un symbolique calumet de la paix qui le prépare à rejoindre Bâton Rouge et Taureau Assis, voire Aigle Agile, ses amis Apaches, Sioux et Comanches, morts caracolant sur leurs montures face à la cavalerie des culs terreux cow-boys texans lors d'un dernier baroud d'honneur comme seuls les Indiens savent le faire pour satisfaire les ancêtres totémiques. Nedjma attend l'arrivée de l'amant qu'elle n'a pas dévoré. Le vieux Keblout veille au râle de son dernier rejeton indomptable, tenu à distance par le cortège des Zohra pleureuses guidées par la folle de l'hôpital en cavale camisolée dans sa bure bleue. Yacine est en train de rendre son âme. Il a pris l'ultime soin de convoquer le comité central des amants au cœur cautérisé (Werther, Don Juan, Julien, Raphaël, Qaïs, Jamil...) Yacine est sur le point de partir pour le grand exil. A ses pieds, armé de courage et de ténacité, Amazigh parcourt à haute voix la seconde satire de l'amant de Sophie, déchiffre le recueil du traité éducatif du protégé de la grande et libertaire Catherine, annone le lexique des lumières du généreux encyclopédiste, répète la parabole journalistique de l'ami du peintre manchot qui lui dispute la fable de l'âne et du mouton (demandez pendant qu'il est encore temps à Benamar Médiène, le vigile témoin du comité central du Khabat, de vous en livrer le secret et le sens occulte et symbolique) et enfin le lumineux verdict de l'impertinent scribe du supplément au voyage de Bougainville qui a débusqué la lâcheté des « cacadémiciens et des cacadémiciennes » qui n'ont vu la société, ne pouvant la voir autrement, que par « le goulot étroit de la bouteille des abstractions » (écrits politiques). Algérie, capitale Alger, 1989 La patrie généreuse de Denis le Langrois nous a rendu dans une boîte à Pandore le cadavre encerclé et à jamais bâillonné du poète qui, toute sa vie durant, aura soliloqué jusqu'en cet asile d'un centre familial pour parias, à quelques encablures des villas du Paradou et de ses environs helléniques, ces villas de maître razziées par les plumitifs serviles et rapaces, les réfugiés planqués attendant la curée, une fois le pays libéré de la poigne coloniale. La république populaire, dont avait rêvé Nuage de Fumée, rata le rendez-vous kolkozien pour glisser irrémédiablement vers la zaouia boudallahique de la Grande fratrie des Gandours, peuplade enturbannée se partageant sur deux continents, le continent vitaliste jaune, et le continent tsétséïque noir qui devait rater le chemin de la libération pour partir en fumée dans un devenir d'Anafrasie régentée par les « frères monuments ». Et dire que Yacine, encore dans le mythe, revendiquait un Islam réveillé (recueil à jamais perdu comme un continent barthien) Paris, France (1947) Un jeune apprenti journaliste de 17 ans fait une conférence devant un parterre de citoyens français anticolonialistes. Il plaide la cause de son pays dont il souhaite ardemment et la libération et l'indépendance. Il écrit surtout des poèmes de nostalgie et de grande sensibilité amoureuse où Nedjma se promène dans les jardins cordouans de l'Alhambra aux fleurs teintées du sang des « brigadistes » algériens mémorisés en désespoir de cause par André Malraux, fusillés par le caudillo fasciste nabo Franco et mélancoliquement chantés en dernier souffle par Federico pleurant la mère courage en sa casa alba. Sétif, Algérie (1945) - Mère le mur est haut ! - Il fallait pas partir ! - Les automitrailleuses, - les automitrailleuses ! - L'exil libérateur dans la langue - de Jacques le fataliste Kateb Yacine commença à écrire en français pour dire aux Français qu'on n'était pas Français. Tous les aphasiques par calcul et/ou par prudence y trouvèrent leur compte. Puis il se mit à déclamer dans les langues de Cheikh Smati et de Aïssa Djarmouni. Les vigiles liberticides troublés par Moh Zitoun ou par la beauté excitante de Attika, la femme lubrique du muezzin cocu consentant, le condamnèrent au silence sous peine d'exil post mortem. Une révolte d'adolescents chahuteurs ranima en lui la flemme de Jugurtha l'infatigable résistant mort dans une cage aux lions dans les geôles romaines. Au cœur du silence de lâcheté et de prudence calculée, Kateb Yacine donna de la voix contre la torture des adolescents facétieux qui inaugurèrent les réactions incendiaires contre les ghettos et les privilèges discriminatoires. Et le feu de la révolte souffla du Nadhor sur la banlieue et de la banlieue sur le pays et du pays sur le continent et du continent sur le monde. C'est que Kateb Yacine, citoyen du monde, frère de Robespierre et de Saint Just, amant de Nedjma et de Salammbô, était trop grand et trop généreux pour s'abaisser à toiser les Napoléon et les Franco, les demi-portions des dictatures esclavagistes et sanguinaires.