On ne peut pas vraiment dire que Bille August soit venu au cinéma par hasard, puisque, dès la fin du collège, il choisit de commencer son apprentissage à l'école d'architecture du Danemark où il est né. A ce propos, il est étonnant de noter le nombre impressionnant de metteurs en scène, comme Fritz Lang ou Alfred Hitchcock, qui ont débuté leur carrière dans l'architecture. Einstein disait qu'il avait beaucoup appris de cet art, en particulier le cadrage des lignes et la règle d'or dans la structuration de l'espace filmique. Cet art, Bille August l'a tout de suite maîtrisé et cela transparaît à travers son souci du détail technique. Mais la comparaison avec les grands issus du muet ne s'arrête pas là. Comme eux, en effet, il a touché à l'écriture du scénario et à la photographie qu'il a apprise dans la Suède voisine. Revenu au Danemark, il obtient à Copenhague un diplôme de directeur de la photographie. Cette formation, à la fois artistique et technique, explique le savoir-faire que Bille August a d'emblée accumulé. Il travaille comme directeur photo et comme scénariste puis comme réalisateur de films publicitaires, ce qui lui a permis d'acquérir le sens de la concision et du détail qui frappe. Après sept ans d'un long et minutieux apprentissage, il réalise enfin son premier long métrage à l'âge de 30 ans : Ma vie. Il réalise des séries pour la télé et ce n'est que plusieurs années plus tard que son talent semble enfin reconnu au Festival de Berlin avec Busters Verden. Dès lors, il deviendra plus facile pour August de trouver des producteurs qui acceptent de partager avec lui le risque de gros budget. A 40 ans, il est dans la sélection officielle du Festival de Cannes avec un film qui va vite faire sensation Pelle le conquérant. Tiré d'un classique de la littérature danoise écrit par Martin Anderson Nexo, le film nécessite trois ans de tournage avant de successivement rafler la Palme d'or de Cannes, puis l'oscar du meilleur film étranger à Hollywood. Etrange histoire que celle de ce roman culte au Danemark que déjà l'immense Carl Dreyer (auteur de la première Jeanne d'Arc au cinéma) avait essayé d'adapter. Roman Polanski et Bo Wideberg n'ont jamais réussi à le porter à l'écran, car les droits d'adaptation étaient détenus par la société d'état du cinéma de la RDA, où l'auteur avait fini a vie. Œuvre éblouissante par sa précision et par sa qualité technique, Pelle le conquérant allait faire de Bille August l'espoir de toute une génération de cinéastes européens. Seul Gabriel Axel avec Le Festin de Babette, adapté par Karel Blixen, semblait pouvoir le concurrencer. Le revers de la médaille sera évidemment cette attente des cinéphiles, souvent faite de déceptions et de désillusions. On ne pardonnera pas aisément à Bille August de vouloir diversifier les genres cinématographiques auxquels il aime s'attaquer. Car enfin, derrière l'esthète accompli et le technicien achevé, se cache un cinéphile admirateur des maîtres qui l'ont inspiré. Il reviendra d'ailleurs quelques années plus tard à Cannes où il remportera une deuxième Palme d'or avec Les Meilleures Intentions sur un scénario d'Ingmar Bergman. Curieuse démarche de August qui a tenu à mettre en scène un texte du maître en prenant le contre-pied de la technique du modèle. Ici, tout est retenu et éloigné au contraire de la démarche de Bergman qui consiste à cerner les personnages pour finir par littéralement les habiter. Cet humour teinté d'un immense respect pour l'auteur de La vie conjugale n'a pas semblé convaincre les admirateurs de l'un comme de l'autre. C'est pour cela que Bille August est revenu en Suède en 2001 pour réaliser le superbe Chant pour Martin. Dans ce film qui raconte la vie et l'amour brisé d'un chef d'orchestre et compositeur victime de la maladie d'Alzheimer, l'auteur reprend les traces de Bergman pour raconter la mort spirituelle qui précède la mort physique d'un personnage au sommet de son art musical. Il commence par observer de manière distante le chef d'orchestre et son premier violon, tous deux mariés, avant de les cerner et de pénétrer dans leurs pensées pour rappeler les grands moments de Cris et chuchotements. August procède par plans rapprochés pour suggérer la présence de la maladie et de la mort. Tout cela accompagné d'un opéra commandé et jamais achevé, la musique résonnant comme un requiem envahissant pour ce musicien dont la mémoire cérébrale va céder devant la beauté du chant. Bille August fait de l'inspiration bergmanienne une démarche fatalement enchevêtrée dans un univers mozartien. La musique est partout ; elle suit, poursuit et avale les personnages. La déchéance de l'esprit et du beau devant la maladie et la décrépitude accompagneront Martin et sa femme jusqu'au bout de leur destin. Une telle toile d'araignée ne pouvait se faire que grâce à une complicité exceptionnelle entre les deux protagonistes principaux. Ironie du sort ou diabolique calcul du metteur en scène, c'est l'épouse-actrice qui mourra d'un cancer peu après la fin du film.