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«Le théâtre est mon amour, ma passion»
ENTRETIEN AVEC LA COMEDIENNE RYM TAKOUCHT
Publié dans L'Expression le 28 - 05 - 2008

C'est une sacrée bonne femme pleine de talent et de ressources qui, consciente de s'éloigner un peu de la télé et du monde du cinéma qui pourtant lui fait les yeux doux, décide de lancer sa propre coopérative, Rimah, par amour du 4e art...
Elle c'est Rym Takoucht, douée d'un sens inné pour les planches. Cette ancienne élève de l'Inadc de Bordj El Kiffan, a, à son actif, plusieurs pièces telles que La Nuit du doute de Arezki Metref (produite par la Compagnie de la Courneuve de Dominique Brodin, le montage poétique de Aït Menguellet) présentée à l'Institut du monde arabe (IMA) de Paris, Le Cadavre encerclé de Kateb Yacine avec lequel elle se verra recevoir le premier prix d'interprétation en Allemagne, Tartuffe de Molière, Ubu Roi d'Alfred Jarry, El Moudja dont ses comparses étaient Mustapha Ayad et Sonia ou encore des spectacles pour enfants...Sa grande passion demeure le théâtre. C'est dit. En effet, après avoir crevé l'écran avec le film Vivantes de Saïd Ould Khelifa, relatant ce drame survenu en 2001 où des femmes furent lynchées et violentées à Hassi Messaoud, Rym Takoucht, toujours sensible et attachée au devenir et aux malheurs des autres et des siens, prend le taureau par les cornes. Elle décide de lancer sa propre compagnie de théâtre, eu égard au vide professionnel qui entoure les élèves sortant de l'Inad. Sa première pièce de théâtre raconte l'histoire de cet aveugle, campé admirablement par Nabil Assli qui a choisi une adaptation libre d'une ancienne pièce d'un auteur anglais. Si Lkafi a perdu ses yeux en sauvant une famille lors d'un incendie durant la tragédie nationale. Il vit aujourd'hui reclus chez lui, avec comme compagnons deux jeunes gens oisifs et ses souvenirs. Il s'agit de Boubekeur, surnommé Bob, alias Nadjib Oubssir ayant perdu tôt sa mère et vécu dans la pauvreté et la «hagra» et de Salah, un comédien raté, alias Bendaoud Mohamed, qui fait croire à son hôte, Si Lkafi que sa dulcinée, ayant déménagé depuis deux ans, vit toujours à deux patés de maisons que lui, narre quotidiennement, à la tombée de la nuit, à travers la fenêtre et à l'aide d'une paire de jumelles ses faits et gestes. «Basée sur l'école réaliste, cette pièce, dira le metteur en scène Djamel Guermi, sert à interpeller les consciences sur la situation dramatique de l'humain, en Algérie, du statut marginalisé de l'artiste ainsi que le manque de liberté que connaît la jeunesse d'aujourd'hui, c'est pourquoi, j'ai choisi beaucoup plus la symbolique. Dans un monde dominé par l'image, nous sommes la plupart des victimes qui perpétuons le mal. J'ai voulu poser cette question sous forme de philosophie à savoir l'aveugle peut-il parfois mieux voir que nous?» s'est-il interrogé, en insistant sur le côté «simple et suggestif du décor». Examinatrice de la société, cette pièce met en exergue aussi, sous une forme de parabole louable, l'enfermement de la jeunesse d'aujourd'hui coincée entre ces «barreaudages» d'esprit, sclérosée ou carrément, laissée-pour-compte, malgré les diplômes, a fortiori celui des artistes et comédiens, notamment de l'Inad, qui ne trouvent pas de travail, une fois leur cursus universitaire terminé...Dans cet entretien, Rym Takoucht revient sur cette triste réalité, marquée d'une note d'espoir...Cette relève dynamique qui espère faire bouger les choses..
L'Expression: On connaît Rym Takoucht beaucoup plus à la télé et dans le cinéma. Aujourd'hui, vous revenez à votre premier amour qu'est le théâtre en lançant votre propre coopérative théâtrale, appelée Rimah. Pour quelle raison?
Rym Takoucht: Le théâtre est effectivement mon premier amour. J'ai commencé et je finirai par lui. Le cinéma et les feuilletons sont pour moi passagers parce que le théâtre c'est ce que j'adore le plus. Une coopérative, pourquoi? Parce que j'ai vu que les sortants de l'école Inad ne travaillent pas. On nous trouve toujours mille excuses et problèmes pour ne pas monter des pièces. On ne sait pas pourquoi. Il y a aussi ce «pas de problème!» Or, il y a mille et un problèmes qui se posent en même temps. C'est pourquoi j'ai décidé de lancer ma propre coopérative par et pour l'amour du théâtre. C'est ce qu'on a essayé de faire à travers cette première pièce, La Fenêtre.
Pourquoi cette pièce un peu tragique finalement, en première représentation et baptême de feu de votre coopérative?
Tragique et comique en même temps. L'acteur principal de la pièce, Nabil Asli qui a fait aussi l'adaptation de cette pièce de Frank Cals, a retravaillé cette pièce en l'adaptant à notre réalité socioculturelle. Nous avons tous apporté nos idées. Tout le monde a mis la main à la pâte. Nabil Asli est à la base comédien, pas scénographe tout comme Djamel Guermi, qui lui, non plus n'est pas metteur en scène mais un comédien de formation. Ce qu'on voulait c'est travailler pour l'art. C'est tout. On a choisi cette pièce car elle est proche de notre actualité.
Cela traite, en effet, d'un sujet social très sensible. On ne peut faire l'impasse sur votre rôle poignant dans le film Vivantes de Saïd Ould Khelifa, long métrage qui traite aussi d'un drame collectif humain, de la marginalisation d'une tranche d'individus, laissés-pour-compte...
Oui, effectivement comme ce film dans lequel j'ai joué, c'est une histoire bien réelle qui s'est déroulée à Hassi Messaoud. Ce qui importe pour nous, est de prendre le pouls de la société, son vécu et comment elle est en train de vivre, y compris parler de la situation du comédien et de l'artiste en Algérie, sachant que le théâtre est le reflet de la société, c'est ce qu'on essaie de donner à voir.
Avez-vous rencontré des difficultés pour monter cette pièce?
La pièce a été montée en trois mois. On a répété dans des garages. On remercie aussi le centre culturel de Mohammadia qui nous a cédé son espace. Pour la générale, heureusement qu'il y a l'Onco, sincèrement. On n'a pas trouvé de difficultés avec eux, bien au contraire. On a demandé la salle, ils ont immédiatement accepté et on est là. Mais ce fut un long parcours parsemé d'embûches pour en arriver là. Surtout qu'on n' avait pas de budget propre pour assurer le décor. On a fait avec les moyens du bord. Comme dit l'adage «quand on veut, on peut.» On peut facilement réussir. Ceci est pour la relève qui est appelée à nous succéder. Une personne qui aime vraiment l'art, se doit de s'investir dans ce qu'elle fait. Elle pourra réussir. Le résultat de notre travail, vous l'avez vu. Le public a aimé le spectacle. C'est un honneur pour nous.
Vous êtes la présidente de cette coopérative mais vous n'avez pas pu vous empêcher de donner un coup de main, en assistant le metteur en scène...
Oui, bien sûr, parce que pour moi l'art c'est un tout. C'est être comédien, metteur en scène...C'est très possible que je me mette à écrire aussi. Je ne voudrais pas me limiter à une seule chose: «Je suis comédienne, je resterai toute ma vie comédienne.» Je suis contre cette idée. Tant que j'ai mes propres idées, je peux les donner. C'est vrai qu'être comédien c'est une école, être metteur en scène c'en est une autre. Il faut que je m'adapte et que j'apprenne tout ça..
Et le cinéma dans tout ça aujourd'hui?
Quand il y a des sujets intéressants je suis là, mais si on propose des sujets débiles qui n'ont rien à apporter, je préfère m'abstenir et je choisis mon art qui est le théâtre, où je suis en contact direct avec mon public.
Des projets en perspective?
Je compte préparer un one woman show, intitulé Rah Ezzine, Rah koulèche. Cela raconte l'histoire de filles qui rêvent de trouver l'homme idéal qui, lui, les remplace à chaque fois par une nouvelle fille plus belle. Cela évoque non seulement les filles matérialistes mais celles qui ne veulent pas étudier. Or, les études te donnent un statut et une arme dans la main, qu'est le diplôme. Ça parle aussi des hommes qui changent de femmes à chaque fois qu'ils atteignent un poste supérieur au travail. Ce sera un peu tragique et comique, à la fois. C'est un travail que je compte réaliser avec Djamel Guermi. Celui-ci intervient après un autre one woman show que j'ai déjà présenté, Zbida Zef. Je compte aussi aborder un autre sujet: comment deux malades abordent la société et sous quel regard?
Que peut-on vous souhaiter?
Beaucoup de patience. Que l'art que j'aime reste toujours propre!


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