- Quel constat faites-vous de la situation de la presse en Afrique, 20 ans après l'élaboration de la Déclaration de Windhoek ? La situation en Afrique est encore difficile pour tout le monde. Certains pays comme l'Afrique du Sud sont conscients qu'ils peuvent avoir une presse libre et de grande qualité. Ces pays sont néanmoins confrontés à beaucoup de défis. Et l'un d'eux consiste à résister face à leurs gouvernements qui affichent une volonté de réglementer ou réguler les médias. Une telle situation pourrait en effet réduire leur marge de mouvement. Donc, le combat n'est pas encore tout à fait gagné pour eux. A l'opposé, nous avons des cas comme celui de l'Erythrée où la situation pour les professionnels de la presse est intenable. Je citerai l'exemple du journaliste Dawit Isaac qui est en prison depuis 10 ans et qui, à ce jour, n'a pas été encore jugé. Il s'agit-là de la méthode trouvée par le gouvernement érythréen pour le réduire au silence et adresser un message très clair aux autres journalistes qui auraient à l'esprit de sortir des lignes rouges. Le message est le suivant : «Si tu dis la vérité, tu vas en prison». Ceci dit, malgré les problèmes qui persistent un peu partout à travers le continent, je pense que le plus grand changement tient au fait notamment que les gens sont davantage plus conscients de leurs droits qu'il y a 20 ans. Et le constat vaut autant pour journalistes, les éditeurs que pour les gens ordinaires. Cela est de nature à changer la donne dans de nombreux pays. - Justement, quelles sont les évolutions les plus notables qu'il est possible de recenser depuis 1991 à nos jours ? Aujourd'hui, les populations africaines ont accès à l'information de manière instantanée et directe à travers notamment l'Internet et les téléphones portables. Cela se vérifie en Tunisie et en Egypte où il y a eu la révolution. Je vous ferai remarquer que ce sont de jeunes personnes qui ont goûté à la liberté à travers les réseaux qu'ils ont créés sur Internet (facebook, twitter, etc.) qui ont mené ces révolutions. Incontestablement, les gens sont plus conscients de leurs droits. Maintenant, la société attend des médias à ce qu'ils portent ses revendications et suivent de très près leurs gouvernements. C'est certain, dans ces pays, les gens ne vont plus tolérer la corruption et les pots-de-vin. Les peuples veulent que l'Afrique aille de l'avant, aspirent à une meilleure gouvernance et demandent une bonne instruction pour leurs enfants. - Qu'attendez-vous de la réunion que vous venez d'organiser à Windhoek en partenariat avec MISA, l'Unesco et le TAEF ? A travers cette initiative, nous voulons arriver à la décriminalisation du délit de presse en Afrique. Trop de pays sont encore régis par des lois scélérates et archaïques. Elles ne conviennent pas à la réalité et au contexte actuels. Nous demandons à tous les leaders africains de mettre en place des textes qui permettent aux journalistes de faire leur travail sans avoir la peur continuelle d'aller en prison. - Est-ce que la criminalisation du délit de presse est ce qui pose le plus problème pour la presse en Afrique ? Oui, c'est un immense problème. Il n'y a qu'à voir le cas du Cameroun. Il y a de nombreux journalistes en prison dans ce pays et leur seul crime a été d'avoir dit la vérité. Ces derniers commencent à avoir des soucis avec la justice dès qu'ils parlent de la corruption qui gangrène le gouvernement, les institutions publiques, les entreprises et les agents de l'Etat. Dans ces cas- là, les responsables camerounais n'hésitent pas à jouer sur la loi sur la diffamation pour neutraliser ou réduire au silence les journalistes. Ces pratiques éculées n'aident vraiment pas le pays à progresser. - Que va faire Wan-Ifra sur le terrain pour justement amener les gouvernements à changer de comportement à l'égard des journalistes ? En collaboration avec nos partenaires (les éditeurs africains de TAEF, Ndlr) nous nous sommes lancés le défi de faire appliquer les principes énoncés dans la Déclaration de Table Mountain. Une victoire vient d'être remportée par les éditeurs au Niger. Ils ont convaincu leur Président de signer notre déclaration et de s'engager à respecter la liberté de la presse. J'espère que d'autres chefs d'Etat s'engageront sur la même voie. J'ai beaucoup d'espoir car durant notre conférence j'ai vu de nombreux éditeurs qui ont la passion pour la vérité et leur métier. La passion l'emporte toujours sur la corruption.