Grosse déception ! Présentée comme un événement «inédit» en Algérie, la rencontre sur les premiers états généraux de «la société civile», dont les travaux ont débuté hier à Alger, commence mal. Même très mal. Censées «libérer la parole» et «la restituer» à ceux qui souffrent de sa confiscation durant ces dix dernières années, et même depuis l'indépendance de l'Algérie, les assises organisées par le Conseil national économique et social (CNES) n'ont finalement accordé la parole qu'aux appendices du pouvoir. En effet, tous les privilégiés du système étaient de la partie. De l'UGTA à la Coordination nationale des enfants de chouhada (CNEC) en passant par l'ONEC et l'Organisation des victimes du terrorisme, tous les représentants de la société civile du régime ont répondu à l'appel. Toutes les organisations qui ont toujours droit à la parole, accès aux médias lourds et la liberté totale de réunion gardent, en effet, leurs privilèges et leur statut de représentants autoproclamés de la société civile. Contexte national et international oblige, ils se mettent à nouveau au-devant de la scène pour que l'on braque sur eux les projecteurs de la télévision nationale. Et ce sont eux qui discuteront, trois jours durant, du changement et de l'avenir de la société civile algérienne. Les syndicats autonomes, les organisations indépendantes et les ONG nationales n'ont pas été invitées ou ont décliné l'invitation à ce qui semble une «kermesse». Parmi les plus actifs sur le terrain, seuls le Cnapest, l'Unpef et les syndicats de la santé ont honoré l'invitation du CNES. Assis au fond de la salle, leurs représentants n'ont pas eu droit à une intervention en plénière. Ils seront aussi minoritaires lors du travail en ateliers qui devront élaborer les propositions du mouvement associatif en Algérie. «Je commence à douter du sérieux de cette rencontre», nous confie un syndicaliste qui préfère porter son jugement définitif sur l'événement à la fin des travaux. Pas de message de Bouteflika «L'écoute de la société civile» visée à travers cette rencontre du CNES ne concernera pas toutes les organisations autonomes. Lundi dernier, six organisations et syndicats ont annoncé le boycott de ces états généraux. «Cette rencontre n'est qu'un moyen de gagner du temps et d'absorber la contestation pour contourner l'exigence de changement exprimée par la société», estiment ces organisations, entre autres la LADDH, le Snapap, le Satef, SOS disparus. Et d'ajouter : «Le principal rôle des représentants de la société civile est d'être une force autonome de contestation, de proposition et de médiation de façon permanente et non pas conjoncturelle à travers des rencontres-alibi de salon». Outre ces organisations, le Collectif des jeunes chômeurs et des syndicats autonomes non agréés n'ont pas pris part à la réunion. Pourtant, le CNES avait promis de ratisser large et d'ouvrir les portes à tout le monde. «L'objectif de ces premiers états généraux de la société civile est de restituer la parole aux associations et aux syndicats reconnus, formels ou non formels et de leur donner un espace de discussion, un espace de libération de la parole», déclare Mustapha Mekidèche. Cette rencontre sera-t-elle «une déclinaison du printemps arabe», comme l'affirme le président du CNES, Mohamed-Seghir Babès dans son allocution. Il n'est pas, en tout cas, certain «de vivre ce printemps en temps réel et à ciel ouvert». Autre fait à signaler : l'absence de membres du gouvernement et des officiels à l'ouverture des travaux de ces assises. Même le représentant du président de la République qui devait lire, selon le programme remis à la presse, son message devant les présents a fait défection. C'est le président du CNES qui a prononcé quelques phrases au nom du chef de l'Etat : «Le président de la République m'a demandé de transmettre à l'ensemble des participants son sentiment intime de soutien et d'écoute. Il entend, en particulier, libérer la parole de la société civile dans l'ordre d'un nouveau système de gouvernance pour dire que nous sommes dans une approche de la base vers le sommet.»