Trop de personnes, particulièrement les jeunes, se promènent avec une arme blanche en poche, provoquant, pour des riens, de véritables drames familiaux. Le service des urgences chirurgicales du CHU Benbadis ne désemplit pas. C'est phénoménal, ces cohortes de blessés affluant au quotidien, comme si on était en guerre. En janvier de cette année, l'on a enregistré 190 agressions, en février 155, en mars 157, en avril 218, en mai 186…ce sont les dernières statistiques livrées par les mêmes services. Et le phénomène va crescendo. Le personnel est débordé. L'on a vu plusieurs personnes agressées saigner abondamment, attendant longtemps avant d'être prises en charge, et ce faute de places en salle d'opération. Cependant, aucune mesure concrète n'a été prise jusque-là pour endiguer ce fléau. Les victimes, si elles ne décèdent pas, sont doublement pénalisées, car dans la plupart des cas que nous avons eu à rencontrer, il y a eu déni de justice eu égard à l'insignifiance des peines infligées aux agresseurs. Un père de famille, S. B., raconte le calvaire de son fils mineur, ayant fait l'objet de harcèlement et racket de la part de deux individus âgés de 26 et 28 ans. «Mon fils, âgé de 16 ans au moment des faits, a été terrorisé durant des mois; ces deux voyous l'attendaient tous les matins devant le collège, et exigeaient qu'il leur ramène de l'argent, lui mettant un tesson sur la gorge; pris de panique, mon fils s'est mis à nous voler sa mère et moi, croyant ainsi se débarrasser de ses bourreaux, mais en vain; il a fini par tout avouer. La justice a mis longtemps à faire son travail, et en fin de compte, les deux individus ont juste été condamnés à rembourser la somme rackettée. Mais l'huissier n'a jamais appliqué la décision de justice en dépit de toutes les démarches; on nous a eus à l'usure.» La mère d'un étudiant nous a relaté les faits suivants: «Mon fils a reçu deux coups de couteau d'un jeune drogué qui semait la terreur dans le quartier. Il a perdu énormément de sang. Il a subi une première opération au service des urgences qui a duré 4 heures. Et quelques jours plus tard, une autre relevant de la microchirurgie, d'une durée de 6 heures. Le médecin légiste lui a accordé 60 jours d'incapacité. De son côté, l'agresseur a bénéficié d'une hospitalisation de complaisance grâce à certaines complicités, et il n'a écopé tout compte fait que d'un an avec sursis. Entre-temps, mon fils a des séquelles physiques et psychologiques importantes.» N., un lycéen ayant été également gravement agressé par un jeune vendeur de cigarettes au moyen d'un objet contondant, rapporte qu'il a été carrément mis dos à dos avec ce dernier, qui n'a pas trouvé mieux que de s'automutiler pour bénéficier de la clémence de la justice. Des dénis de justice aux retombées psychiques graves Nous avons rencontré beaucoup de citoyens frustrés par « la parodie de justice à laquelle ils ont eu droit », selon leurs propres mots. Beaucoup de personnes ayant eu recours à la justice pour faire valoir leurs droits nous ont rapporté que certains juges, «toute honte bue, pratiquent la corruption sans aucun respect de la loi qu'ils sont censés protéger». Un homme plein d'amertume, vouera aux gémonies quelques avocats de sa connaissance, qui sont, dit-il, «la plaie de la profession, des prédateurs, sans foi ni loi, n'ayant en outre aucun talent». Des plaignants relèvent aussi qu'au niveau de certains groupements de gendarmerie et autres postes de police, ayant enregistré les plaintes, les enquêtes sont expédiées, voire bâclées. «Les témoignages sont rarement pris en compte, et les copains impliqués dans les délits sont protégés au maximum», nous confie un agent des services de l'ordre ayant requis l'anonymat. Les dénis de justice ont parfois des conséquences plus graves que les lésions physiques occasionnées par l'agression au plan psychologique, nous dira le responsable de la cellule de psychologie du CHU Benbadis, le Dr Aziz Kabouche. Selon lui, son service accueille en moyenne 4 victimes d'agression par semaine (physique ou verbale). «Les sujets ayant été victimes d'agression présentent un trauma psychique (PTS), générant un état de phobie très poussé, qui peut durer une dizaine d'années; c'est le service de médecine légale qui les oriente chez nous», indique-t-il. D'ailleurs, ce service (médecine légale) reçoit une vingtaine de patients par jour. L'unité de psychologie fonctionne à plein régime, surtout en période estivale où les cas de trauma dû à une agression dépassent les 30 par mois. D'après notre interlocuteur, «le phénomène de la violence est dangereusement occulté, alors qu'il est une priorité de santé publique, car dans la plupart des cas il est généré par la drogue et l'alcool ».