Il serait très ingénu, dans notre société, de croire que les relations sexuelles sont limitées au mariage ; il en est de même pour les naissances hors mariage qui ont toujours existé et existeront toujours. Dans la société algérienne, plusieurs termes sont utilisés pour désigner l'enfant né hors mariage, appelé enfant «illégitime». Des termes populairement utilisés et très répandus sont «lakit» en arabe, «keboul» ou «ferkh» en dialectal algérien, «enfant trouvé», «majhoul nasab», mais également «enfant naturel». C'est pour cette raison qu'il nous semble utile de donner un aperçu de ces différentes appellations, car elles reflètent parfaitement la vision que porte la société algérienne sur ce fait. Le terme illégitime évoque la naissance d'un enfant hors mariage et, aux yeux de la société musulmane, une telle naissance en violation de la loi menace les valeurs familiales et religieuses. Toutefois, le langage populaire algérien l'adopte pour désigner tous les enfants nés d'une relation adultérine sans exception. Mais ce terme, que nous réfutons arbitrairement, traduit la volonté inconsciente de dénigrer l'enfant «illégitime», considéré comme un intrus. C'est la preuve incontestable qu'une partie importante de la société algérienne reste profondément marquée par les mentalités ancestrales et rétrogrades : dans les temps anciens, il était en effet inconcevable que l'enfant illégitime reste avec ses parents ; il devait être exclu de la tribu d'origine pour maintenir l'ordre social et, par la même, préserver son prétendu honneur. Néanmoins, il est nécessaire de dire que le droit de la famille algérien ne donne aucun qualificatif pour désigner l'enfant né hors mariage, appelé en droit «enfant naturel» ; il n'en parle même pas, car l'enfance illégitime est un sujet tabou au sein de la société algérienne au même titre que d'autres thèmes sensibles pour des raisons d'ordre religieux, politique, mais également par hypocrisie et animosité. Ainsi, le droit algérien ne définit pas l'enfant abandonné, contrairement au droit marocain. Le droit de la famille prohibe l'adoption (article 46 du code de la famille). Pour obvier à cette prohibition pourtant si nécessaire pour des raisons sociales multiples (abandon d'enfant, enfant né sous x, stérilité…), le législateur algérien a mis en place la kafala comme moyen de protection de l'enfant abandonné (avec ou sans filiation). La kafala est-elle une nouvelle forme d'adoption dépouillée de ces effets mais remplacés par d'autres ? Cet arrangement est-il possible à réaliser pour assurer la protection matérielle et morale de l'enfant ? Ou bien s'agit-il juste d'un ajustement juridique en trompe-l'œil pour préserver la dominance du caractère religieux ? Nous observons cette question en deux points. D'abord, examinons l'attitude du législateur algérien en ce qui concerne la kafala : c'est une attitude de dépendance totale en la matière à la conformité religieuse. En deuxième point, cette dépendance a rendu le concept de la kafala lacunaire. La kafala, un concept en stagnation A l'instar des autres pays musulmans, l'Algérie est très attachée à la religion ; le maintien indéfini du caractère religieux du droit de la famille n'a pas pu engendrer la production de normes juridiques particulières en la matière. Cette dépendance absolue constitue un véritable obstacle irrésistible et entraîne l'immutabilité du droit de la famille algérien, confondant ainsi religion et rapports sociaux, tout en maintenant la confrontation du droit à la religion. Ainsi, malgré les réformes qui lui sont apportées par l'ordonnance du 27 février 2005, le droit de la famille algérien est toujours emprisonné par la vérité éternelle religieuse, qu'il serait une horrible impiété de la modifier. Les modifications introduites sont plus justifiées par le recours à l'«ijtihad» pour demeurer dans la conformité religieuse que par volonté de produire des valeurs (égalité homme-femme et protection de l'enfant) communes à travers une régulation de type démocratique. Cette attitude a mené le législateur à interdire purement et simplement l'adoption (article 46 du code de la famille). Cette disposition est contraire à la réalité sociale, où l'adoption est encore une coutume très ancrée dans la société algérienne. En matière de droit de la famille et particulièrement en matière d'adoption, le droit algérien n'a pas estimé utile de recourir à l'«ijtihad» réformiste basé sur le principe de nécessité, mais également sur l'interprétation large des textes coraniques relatifs à l'adoption qui concerne, de notre point de vue, uniquement l'enfant dont la filiation est connue ; dans ce cas, il conserve sa filiation d'origine. Cependant, l'enfant de filiation inconnue est traité en «frère» ou en « allié» (verset 5, sourate Les Alliés). Aucune interprétation doctrinale d'ordre religieux n'est faite dans ce sens pour adapter ce texte aux besoins sociaux urgents ; bien au contraire, les conservateurs algériens visent toujours à orienter la doctrine religieuse vers la stérilisation et la stagnation du droit de la famille. C'est donc la doctrine étrangère qui vient enrichir l'«ijtihad». Ainsi, Mme Vandelevede conçoit qu'un enfant privé de famille doit avoir le même statut qu'un enfant légitime, puisque tous les croyants sont frères et égaux en Islam. C'est de cette manière qu'a procédé le législateur tunisien pour légitimer l'adoption ; il a fait appel à l'«ijtihad» réformiste. Mais la dépendance totale de notre droit à la charia (article 222 du CFA) a entraîné l'enfermement de ce nouveau concept (la kafala) dans la stagnation et l'agénésie. La kafala, un concept lacunaire En élaborant le code de la famille en 1984, le législateur algérien ne pouvait pas se permettre une omission législative à la situation des enfants abandonnés qui constituait un phénomène social majeur nécessitant une prise en charge urgente. Le concept de la kafala choisi par le législateur, qui est supposé régler le problème de l'enfant abandonné sans filiation, s'avère lacunaire et inachevé. Le droit algérien n'a pas su ériger la kafala en concept clair et satisfaisant. Des lacunes dans ce concept qui traduisent une sorte de défaut de la volonté du législateur, qui expriment incomplètement la volonté de la société. Ces lacunes et insuffisances traduisent un silence voulu, une mauvaise volonté du législateur algérien de régler certains aspects de la kafala. Le droit algérien a admis, de fait, l'adoption en la nommant kafala, mais en même temps l'a dépouillée de tout effet, car dans la pratique la kafala n'est qu'une adoption démunie de ses effets, rendant la situation juridique de l'enfant abandonné précaire et imprécise. C'est ainsi que le droit algérien est resté au niveau de la charité à caractère privé et de l'œuvre de bienfaisance et ne s'élève pas à une politique sociale de protection de l'enfant abandonné structurée et accomplie par l'Etat. En voulant être dans la morale religieuse, le droit algérien n'es-t-il pas en crise de moralité au sens des droits de l'homme ?
Houhou Yasmina. Enseignante à la faculté de droit d'Alger