La filiation de l'enfant né hors mariage demeure tributaire de l'aveu du géniteur. Mais le test ADN de paternité, hautement fiable, reste contesté par les religieux. La loi, de son côté, soumet l'expertise à l'appréciation du juge. Un enfant adopté et une avocate à la cour d'Alger lancent une pétition pour obliger le recours à l'ADN dans la détermination de la filiation. Privés de famille. De reconnaissance. Mais aussi de nom, même lorsque le père est identifié. Les enfants nés hors mariage sont résolument condamnés à vivre avec la lancinante question : qui est mon géniteur ? Ou pire : est-il vraiment mon géniteur ? Pourtant, la science permet de déterminer la filiation de l'enfant à travers le test ADN de paternité ou celui de la filiation. Depuis le 7 juin, Mohamed Cherif Zerguine, lui-même enfant abandonné par sa mère suite à un viol, quarante-sept ans auparavant, et Fatima Benbraham, avocate à la cour d'Alger, ont lancé une pétition appelant au recours au test ADN. Ce qui permettra à un enfant né hors mariage de pouvoir porter le nom de son géniteur lorsque le lien biologique est scientifiquement établi. A défaut d'identifier ce dernier, l'enfant se voit attribuer le nom de sa mère. L'origine de ladite pétition est née de l'ambigüité de l'alinéa 2 de l'article 40 du code de la famille qui soumet le recours à l'ADN pour prouver la filiation – en cas de naissance hors mariage – et la paternité – dans le cas inverse –, à l'appréciation du juge. «Le juge peut recourir aux moyens de preuves scientifiques en matière de filiation.» Le problème, c'est que la demande de la mère ou de l'enfant d'obliger le géniteur à effectuer un examen peut être rejetée. «L'article n'introduit pas d'injonction de recourir à la méthode scientifique. L'énoncé “peut recourir” doit être remplacé par “doit recourir”», préconise Me Benbraham. Même son de cloche chez Mohamed Cherif Zerguine qui fait face à ce nœud gordien depuis deux décennies. Résultats fiables à 99,99% «Nous, enfants nés hors mariage et abandonnés, sommes doublement victimes, de par notre statut de nés sous X et la privation du droit naturel qu'est la filiation. Dieu n'a jamais été injuste envers nous, contrairement aux hommes de la religion», déplore-t-il. Si le pupille de l'Etat évoque Dieu, c'est pour faire allusion à ceux qui s'opposent à la soumission du géniteur au test ADN, en l'occurrence les hommes de religion. Leur argument ? L'Islam ne reconnaît pas l'enfant né hors mariage et ne lui procure aucun droit, encore moins un nom. Une non-reconnaissance qui viserait à dissuader les gens de «commettre l'irréparable et éviter, par la suite, des mariages incestueux», selon les théologiens. Une thèse catégoriquement réfutée par Me Benbraham. «Auparavant, la filiation s'établissait par des spécialistes qui identifiaient le géniteur en lui faisant passer un examen méticuleux basé sur la ressemblance entre lui et l'enfant concerné, à travers les cheveux, la forme du visage, les yeux, etc., car le test ADN n'était pas encore découvert. Comme quoi l'Islam avait déjà devancé la science ! Aujourd'hui, ce test, qui donne des résultats fiables à 99,99%, existe et peut mettre fin à cette confusion.» De son côté, Me Mounia Meslem, membre du Conseil national de la femme et la famille et secrétaire générale de l'association Rachda, abonde dans le même sens en jugeant «urgent de faire preuve de réflexion de la part des muftis et des juristes musulmans dans le cadre de l'ijtihâd». Scandale et déshonneur Hormis quelques affaires de viol, le juge refuse d'obliger le géniteur à effectuer le test ADN, se référant à l'Islam, socle du code de la famille. «La Justice algérienne ne veut pas qu'il y ait un antécédent par crainte de déterrer des dossiers où des personnalités publiques sont directement impliquées», révèle Cherif Mohamed Zerguine. Par ailleurs, et pour lever toute équivoque et permettre, un tant soi peu, à cette frange de la société de mener «une vie normale», la pétition recommande également l'abolition des naissances sous X, appellation péjorative héritée du colonialisme français ainsi que la levée du secret de naissance. «La société se protège du scandale, du déshonneur, donc l'identité de la mère est gardée secrète au détriment de l'enfant qui naîtra dans le secret et le restera à jamais. Rares sont les mères qui laissent des traces qui risqueraient de compromettre leur avenir social après cet événement considéré comme la pire des calamités», explique Nasséra Merah, chercheur universitaire en sociologie. Celle-ci ne mâche pas ses mots lorsqu'elle attribue ces obstructions juridiques à une «hypocrisie sociale renforcée par les instances religieuses qui nient toute relation sexuelle hors mariage. Cela sous-entend que ces enfants n'existent pas. Ils sont niés, effacés du réel. Illégitimes.»