La réunion des ministres de l'Agriculture des pays du G20, qui s'est tenue à Paris les 22 et 23 juin dernier, a le mérite de révéler les inquiétudes qu'imprime la volatilité des cours des matières premières agricoles sur la sphère économique mondiale. Il a fallu ainsi attendre que la crise de 2007/2008, avec ses méfaits sur les populations vulnérables se reproduise en 2011 (tenant compte de la situation actuelle du marché) pour que les 20 pays les plus puissants de la planète et, avec eux, les institutions internationales comme la FAO, l'OMC ou la Banque mondiale osent désigner le coupable de la crise alimentaire mondiale sciemment entretenue ces dernières années. Il s'agit de la spéculation et la soumission du marché des produits agricoles à des paramètres autres que ceux de l'offre et la demande. Le président français, dans son intervention lors de cette réunion dont l'axe central est le «plan d'action sur la volatilité des prix alimentaires et sur l'agriculture», évoquera le lobby des spéculateurs qui tient désormais entre ses mains le destin alimentaire de la population mondiale qu'il faudra juguler. Mais le locataire de l'Elysée ne semble pas convaincre le reste du groupe des 20 dans sa démarche qui requiert la protection des produits agricoles contre les pratiques spéculatives. Une partie importante des représentants des pays membres de ce club des riches préfère composer avec les spéculations plutôt que de les combattre. Au lendemain de la réunion de Paris, le professeur Jeffrey Frankel de Cambridge School donnera une parfaite illustration de la nouvelle tendance du marché international : «Les spéculateurs sont perçus comme un facteur de déstabilisation des marchés des produits agricoles. Il est vrai que depuis quelques années ces produits sont traités davantage comme des actifs que comme des biens de consommation. Leur prix n'est pas déterminé exclusivement par la loi de l'offre et la demande et leurs fondamentaux économiques (comme la météo ou la politique), mais aussi et de plus en plus par des calculs concernant l'évolution des fondamentaux économiques (la croissance en Asie par exemple) et d'autres facteurs tels que les taux d'intérêt, autrement dit les spéculateurs». En tout cas, tel que la réunion du G20 de l'agriculture a dressé l'état des lieux et les perspectives de l'alimentation mondiale dans sa déclaration finale, le défi n'est pas moindre à long terme : «Pour nourrir une population mondiale qui devrait dépasser 9 milliards d'habitants en 2050, la production agricole devra, selon les estimations, augmenter de 70% d'ici là, et plus spécifiquement de presque 100% dans les pays en développement». L'Afrique au G20 de l'agriculture Cependant, avec la nouvelle donne qu'impose la mondialisation, les pays avancés ou performants sur le plan agricole ne peuvent plus rester à l'écart de la crise alimentaire dans laquelle se débattent les pays vulnérables. Les nouvelles règles du jeu dont dépend désormais le marché international favorisent l'effet contagion des malaises économiques au même rythme de la souplesse que connaissent les échanges commerciaux. Laquelle réalité que reflète aisément la crise des subprimes de 2008 qui s'est vite transformée en une crise alimentaire qui a propulsé près d'un milliard d'êtres humains sous le seuil de pauvreté dans différentes régions du monde. Cette évidence pousse désormais les membres du G20 à s'orienter vers des systèmes communautaires de régulation des produits agricoles. Le continent africain s'invite d'ailleurs dans cette démarche à travers le Nepad (nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique). La déclaration finale sanctionnant les travaux de la réunion du G20 agricole souligne à cet égard : «Un dialogue est engagé avec l'UA/Nepad et les partenaires de développement bilatéraux et multilatéraux intéressés par un éventuel projet pilote pour mettre en œuvre les stratégies de gestion et d'évaluation du risque dans le cadre du CAADP (programme détaillé de développement de l'agriculture africaine) avant novembre 2011. Sur la base de l'instrument de gestion des risques prix en agriculture (APRM), le groupe Banque mondiale présentera un état de ses efforts pour élargir ce projet pilote à l'Afrique subsaharienne ainsi qu'à l'Afrique du Nord et au Proche-Orient au plus tard en novembre 2011 ». L'opposition de la Chine, l'Inde et la Grande-Bretagne La logique d'actions communautaires dans la gestion du commerce agricole semble nécessaire pour les pays du bassin méditerranéen, notamment ceux de la rive sud qui représente 20% des importations céréalières dans le monde. Sébastien Abis, analyste au centre international de hautes études agronomiques méditerranéennes, requiert la nécessité d'aller vers «plus de coopération multilatérale dans la région. On n'est pas aujourd'hui à un stade absolu du partenariat, notamment sur le terrain agricole. Aujourd'hui, il y a débat sur les stocks régionaux céréaliers et au niveau euro-méditerranéen, en essayant de mettre en place ces dispositifs avec des contrats pluriannuels, il y a des propositions pour aller vers des solidarités céréalières permettant de garantir les prix et les fournitures en céréales». En outre, même si tout l'avenir de la population mondiale en dépend, les orientations retenues lors du G20 agricole de Paris pour la régulation du marché mondial des produits agricoles sont loin de faire le consensus. D'énormes divergences ont apparu lorsqu'il s'agit de prendre des résolutions fermes pour juguler la spéculation et la flambée. La Chine et l'Inde, englobant de surcroît près d'un tiers de la consommation mondiale, se sont opposées à l'idée de mettre en place des instruments de transparence sur les stocks et la production des produits de base. Ces derniers mettent en avant leur «souveraineté nationale» qui risque d'être mise en jeu en communiquant des statistiques de ce type. La Grande-Bretagne et l'Australie, de leur part, refusent de s'engager en faveur de la régulation des marchés financiers traitant des produits agricoles et d'autres s'opposent à la limitation de recours à l'embargo sur les exportations en produits de base à l'instar de la Russie qui a interdit l'année dernière les exportations de blé pendant plusieurs mois.