A partir d'un personnage fascinant, une création passionnante et un spectacle vivant. Avec Lissan Eddin Ibn El Khatib, jouée la semaine dernière au Théâtre régional d'Oran Abdelkader Alloula, c'est le cérémoniel qui est à l'honneur. La fresque historique est d'abord un généreux dialogue entre empreintes andalouses, danses, chants du terroir, instruments musicaux et confessions méditatives parlant à l'esprit et au corps. Le patrimoine est à l'honneur. Ses manifestations sont rendues avec humilité et justesse dans ce récit qui se dévide presque de manière naturelle autour d'un apôtre de la politique et de la poésie chantée. Tirée de la vie tumultueuse de Lissan Eddin Ibn El Khatib, l'œuvre théâtrale produite par le Théâtre régional de Tizi Ouzou revisite, avec beaucoup d'entrain et de tendresse, une tranche d'histoire passionnante et passionnée de l'Andalousie du XIVe siècle, à travers l'illustre figure de son savant, hommes de lettres et Premier ministre, Lissan Eddin Ibn El Khatib. Il y a dans le jeu des comédiens de la solennité et du tragique, du sérieux et de la gaieté exprimés dans des tableaux où l'essentiel est soutenu par la musique. Construite sur un texte poétique de Hassan Miliani, un texte qui fait la part belle à la belle métaphore, la pièce, mise en scène par Lazhar Belbèze, revient sur l'histoire et apporte de précieux éclairages, aussi bien sur le héros, interprété avec conviction par Hamid Gouri, que sur cette période de fortes turbulences qu'a connues l'Andalousie musulmane des fins de règne. Bien équilibré, avec un jeu souple et dynamique où la danse est fortement imprégnée des traditions méditerranéennes, Lissan Eddin Ibn El Khatib redonne une âme à cet héritage fantastique, le fait de nouveau émerger avec ses grands déchirements et le resitue avec ses grandeurs et ses petitesses dues aux tragiques reflux des musulmans d'Espagne. On se retrouve ainsi plongé au crépuscule des grandes dynasties qui avaient fait les beaux jours de l'Ibérie et du Maghreb. La grande utilité de cette œuvre réside également dans cette synthèse heureuse entre l'art et l'histoire, entre le vrai et l'onirique. Les interprètes sont à la fois porteurs de signes symboliques et récupérateurs de mémoires tangibles. L'appel est à chaque fois renouvelé grâce à une mise en scène qui fait de ce saut dans le temps – le temps des incertitudes –, une sorte de restauration de tout ce que l'homme a fait de bon. Le souffle est enthousiaste dans ces tableaux qui racontent des scènes de la vie de tous les jours, qui redonnent une âme aux personnages de cette période, qui restituent des tranches de vie précises dans ces palais voués aux manigances ou dans ces tavernes malfamées ouvertes à toutes les jouissances épicuriennes et tous les coups bas innommables. L'alternance des scènes entre danses (fortement gorgées de flamenco) et jeu d'acteurs est équitablement menée pour saisir cette période de grandes turbulences et de trônes chancelants de ces royaumes d'Andalousie et du Maghreb, carrefours de civilisation, mais aussi lieux de grandes trahisons. Lissan Eddin Ibn El Khatib de Lazhar Belbèze, œuvre à grande distribution – montée dans le cadre de «Tlemcen, capitale de la culture islamique 2011» – ne tire pas de conclusions sur cet âge d'or qui dépérit ni sur cet homme qui vivra son destin jusqu'au bout de ses convictions. On n'est pas dans la lecture morale ou moralisante, mais bel et bien dans une lecture tolérante, et surtout réconciliatrice avec notre passé. Une lecture apaisée qui donne cette fois-ci la prééminence à une esthétique prodigue en musiques, flamboyante de couleurs, judicieuse dans ses lumières. La pièce sait soigner les postures évocatrices et les lectures scéniques pour le plus grand plaisir des sens. Cette œuvre originale, foisonnante de repères historiques, donne la primeur au visuel à travers des tableaux tout en mouvement, exprimant des préoccupations psychologiques chahutées, des croyances imprégnés de mythes jamais explicités et des vérités du jour qui pourraient demain s'avérer inopérantes, inutiles, sans intérêt. On peut affirmer que la jonction entre art et histoire a su s'opérer harmonieusement au Théâtre régional de Tizi Ouzou et nous ne pouvons que nous en réjouir.