La claque est une activité non homologuée mais elle est sans doute aussi ancienne que l'art musical auquel elle est intimement attachée. Un documentaire diffusé sur Arte rappelle que la claque est plus fortement encore liée à l'opéra italien. Les plus grands ténors, les plus grandes divas ont eu à composer avec les nécessités de la claque. Maria Callas, par exemple, avait son public et n'avait pas besoin d'être complaisamment applaudie. Elle n'évita pas pourtant le recours à des applaudisseurs dûment rétribués pour chauffer les salles où elle se produisait. Il va de soi que la grande cantatrice payait cette claque rubis sur l'ongle. Dans le cas contraire, elle pouvait s'attendre à un accueil glacial quelle que fût l'extraordinaire qualité de sa prestation sur la scène. Un ténor raconte ainsi qu'il ne fut que maigrement applaudi bien que s'étant surpassé dans son tour de chant. A la fin de son spectacle, une voix s'était élevée du fin fond de la salle. C'était celle du chef de la claque qui montrait au ténor qu'il n'en avait eu que pour son argent. Le ténor avait été très regardant à la dépense et la claque le lui faisait froidement regretter. Même l'illustre Caruso aurait été obligé de solliciter la claque pour éviter toute mauvaise surprise. Apres au gain, négociateurs féroces, les claqueurs pouvaient décider du sort d'une représentation. Un chef de claque raconte que son métier relève de la stratégie guerrière. Disposant d'une troupe de claqueurs, autrement dit d'applaudisseurs, il dispose ses effectifs en fonction de la nature de l'opéra représenté, de la notoriété des artistes, de la connivence du chef d'orchestre, mais aussi et surtout de l'argent investi. La claque, il faut le souligner, n'est motivée que par les espèces sonnantes et trébuchantes. Cela n'empêche pas l'amitié et bien des claqueurs sont fiers et heureux d'exhiber des photos avec Pavarotti ou Renata Thebaldi, lorsque cette diva était au sommet de sa gloire. Des photos du genre avec Maria Callas sont considérées comme des icônes qu'on ne montre pas à n'importe qui. Cela n'empêche pas que Pavarotti devait mettre la main à la poche pour être ovationné. L'enthousiasme de la salle ne pouvait être que proportionnel à l'effort financier consenti par l'auguste ténor. Lorsque l'affaire était bien conclue, on entendait les vivats et les bravos fuser dans une salle où les applaudisseurs professionnels avaient été judicieusement placés par le chef de la claque qui était celui qui poussait invariablement le premier cri. Le postulat d'un claqueur en chef est qu'une œuvre de Rossini, de Verdi ou de Puccini ne s'applaudit pas à l'emporte-pièce. Chaque opéra composé par ces grandioses personnages propose les moments privilégiés pendant lesquels la claque peut entrer en action. La compétence du chef de la claque est de connaître sur le bout des doigts les œuvres de Rossini, Verdi ou Puccini, et de pouvoir donner le signal des applaudissements feutrés, en salves, ou tout bonnement en tonnerre. Le claqueur en chef se veut ni plus ni moins que l'égal du chef d'orchestre avec lequel il discute les détails du jeu. Il fait valoir, à ce titre, une manière de droit de regard car une claque bien conduite peut être gratifiante pour le chef d'orchestre dont le talent peut être mesuré au nombre de rappels du public. A Naples, Rome ou Milan, la claque a connu ses heures de gloire et le triomphe de situations acquises tant que l'opéra attirait les foules. C'est encore assez largement le cas en Italie où ténors et divas restent populaires alors que l'opéra est un genre qui n'a pas perdu les faveurs du public malgré la concurrence impitoyable de la télévision. L'espace d'expression et la marge de manœuvre de la claque s'en sont trouvés rétrécis car le métier n'a pas renouvelé ses contingents. La publicité a pris le relais des claqueurs sur une échelle massive et les grandes vedettes du tour de chant sont désormais fabriquées en un tour de main par des émissions du style Star Academy qui a suscité des avatars partout dans le monde. Ainsi, ce claqueur qui admirait Maradona lorsque ce dernier jouait à Naples n'a plus que des regrets pour l'époque bénie où le public était ému par une note de musique. La claque s'est délitée avec la montée en puissance de nouvelles technologies qui sont venues à bout de la vertu essentielle qui justifiait l'idée du spectacle : le sens du partage. Une vertu qui valait certes d'être applaudie même sans contrepartie.