Le haut-commissaire aux droits de l'homme lance un appel à la communauté internationale. La conclusion paraît évidente. Mais sortie de la bouche du haut-commissaire aux droits de l'homme de l'ONU, Mme Navi Pillay, elle prend plus de consistance et davantage de sérieux. Il y a un risque réel de voir la situation en Syrie virer à la guerre civile. C'est à partir de Genève, siège de cette institution des Nations unies, que Mme Pillay a fait hier cette horrible perspective qui n'est, hélas, pas loin de la réalité. En écho à cette déclaration craintive, le bras armé de Bachar Al Assad a tué hier douze personnes lors de sa répression sanglante des manifestations dédiées aux soldats ralliés à la contestation qui luttent désormais par les armes contre les troupes du régime. A l'appel des militants pro-démocratie, des milliers de manifestants sont descendus dans la rue pour rendre hommage aux «hommes libres de l'armée qui ne tuent pas les hommes libres du peuple revendiquant la liberté», selon leur page facebook «The Syrian Revolution». Mais une nouvelle fois, la machine à tuer de Bachar Al Assad n'a pas lésiné sur les moyens pour tirer dans la foule. Bilan : douze morts, neuf uniquement dans la région de Deraa (sud), dont une femme et un enfant, a indiqué le président de l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), Rami Abdel Rahmane. Un bain de sang qui s'ajoute aux 35 personnes tuées pour la seule journée de jeudi, dont 25 militaires. Des «vendredi 13» en série Les déclarations du haut-commissaire aux droits de l'homme sont d'autant plus fondées que l'armée du dictateur syrien fait désormais face à des militaires déserteurs armés qui ne se feront pas prier pour les utiliser afin de se défendre. Mme Pillay a révélé hier que la répression des manifestations a fait plus de 3000 morts dont 187 enfants depuis sept mois. De violents accrochages armés ont eu lieu hier entre les militaires et des hommes armés, vraisemblablement des déserteurs à Sebqa, dans la région de Damas, rapportent les agences, alors que des échanges de tir ont aussi eu lieu à Homs (centre), selon l'ONG. Ces derniers jours, les ONG syriennes, notamment l'OSDH, ont fait état de plusieurs accrochages armés entre soldats et «déserteurs» qui ont refusé, selon elles, d'obéir aux ordres de tirer sur les civils. De nombreux soldats font défection et s'engagent dans la lutte armée contre l'armée et la sécurité chargées de la répression du mouvement de contestation, ont affirmé l'OSDH et les Comités locaux de coordination (LCC). Mais cette escalade ne semble pas perturber le sommeil du régime du président Bachar Al Assad, pour qui les militaires déserteurs ne sont que des «bandes terroristes armées». Sombre perspectives C'est pourquoi Navi Pillay a appelé hier la communauté internationale à prendre des «mesures urgentes» pour protéger les civils, en citant outre les 3000 morts, des «milliers de personnes arrêtées, détenues, victimes de disparition forcée et torturées». Le haut-commissaire notera également que de «plus en plus» de membres de l'armée «refusent» d'attaquer des civils et se rangent du côté des opposants. Mme Pillay croit déceler des «signes inquiétants indiquant que la situation sombre dans une lutte armée». «Il incombe à tous les membres de la communauté internationale de prendre des mesures de protection de manière collective et décisive, avant que la répression impitoyable continue et les assassinats conduisent le pays vers une véritable guerre civile», affirme-t-elle, comme pour mettre le monde devant ses responsabilités. Le haut-commissaire des Nations unies aux droits de l'homme en veut d'autant plus que les sanctions, prises jusque-là «par les seuls Occidentaux», n'ont pas modifié l'attitude du régime syrien jusqu'à présent. Hier à New York, le Conseil de sécurité de l'ONU a été le théâtre d'une nouvelle passe d'armes sur la Syrie entre partisans et adversaires du régime de Damas. L'ambassadeur français auprès de l'ONU, Gérard Araud, a tôt fait d'allumer Russes et Chinois après l'annonce du bilan de 3000 morts. «Les partisans du silence du Conseil de sécurité devraient tirer les conclusions de la poursuite de la répression», selon des sources diplomatiques. Réponse des émissaires chinois : «Ce nouveau bilan aurait dû être porté à notre connaissance lors des consultations sur le projet de résolution des Occidentaux.» Cela signifie-t-il que Pékin s'apprêterait à lâcher son ami dictateur ? Pas sûr. Sauf si les Russes et les Chinois reçoivent des garanties sur la pérennité de leurs gros intérêts à Damas. Parce qu'au jeu de poker, ces deux membres du Conseil de sécurité n'aiment pas perdre.