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Un cinéma féministe au masculin
Mohamed Chouikh. Douar de femmes est son nouveau film
Publié dans El Watan le 19 - 01 - 2006

Le cinéma algérien a connu un début d'année prometteur avec, en l'espace de deux jours, la présentation en avant-première de deux films, l'un entièrement algérien et le second réalisé par un Français et coproduit en Algérie.
Douar de femmes de Mohamed Chouikh a été le premier film à inaugurer l'année cinématographique en Algérie. Soutenue par une bonne campagne de lancement dans les médias, et en particulier à la télévision (coproductrice majeure de l'œuvre), cette avant-première a connu un succès considérable. Le spectacle fut dans la salle avant de démarrer, avec plus d'une heure de retard sur l'écran. Une salle du Mougar bondée, avec les travées et les escaliers encombrés en dépit des règles élémentaires de sécurité, un public friand mais d'une grande qualité. Ces faits sont autant de rappel du déficit tragique en salles de spectacle pour une ville comme Alger. Le spectacle hors film, c'était aussi ces panneaux électroniques précédant la projection et qui situaient la paternité nominale de la cérémonie aux généreux producteurs. Si bien qu'après 80 minutes d'attente et d'une présentation sympathique, mais quelque peu de folklorique de l'équipe du film, la projection a pu enfin démarrer. Le public a semblé en tout cas s'accommoder avec bonne grâce de ce retard avant de réagir très positivement à cette comédie de mœurs fort agréable que Mohamed Chouikh a écrite et réalisée. On connaît la trame du scénario : dans un douar isolé au milieu de forêts denses et exposé aux attaques terroristes, les hommes « valides » (selon l'expression convenue) partent travailler en usine, laissant les femmes responsables de la défense du village. Deux petits vieux sympathiques (remarquablement interprétés par Said Hilmi et Kadri Seghir) sont les seuls mâles adultes restés sur place. Ces deux patriarches se font un devoir de veiller sur la réputation des femmes du village pendant que ces dernières portent le fusil contre les intrus. En elle-même, la situation est burlesque, à l'image de cet homme qui cloue son pantalon sur la porte d'entrée de sa chaumière. Dans ce village, le regard vient des femmes, tandis que l'envahisseur terroriste est relégué au rôle d'intru ou d'outsider, en somme celui qui agit par défaut. J'ai entendu certains jeunes collègues se poser des questions sur la réalité des faits décrits dans ce film et il est vrai que Chouikh renvoie une image totalement fantasmée d'un microcosme algérien, rural de surcroît. Mais quelle réalité filmique a pu imposer une vision unique de l'Algérie ? Après la fin de l'unanimisme et depuis que nous avons appris à vivre avec l'aliénation individuelle, on peut affirmer que chaque artiste porte en lui une vision différente que des groupes partagent. L'imaginaire reste dans la fiction la meilleure façon d'atteindre les émotions et les impressions d'une époque. C'est ce que fait Chouikh en créant un village imaginaire, mais peuplé de personnages proches de sa vision de l'histoire et des mutations sociales. Il rêve d'un monde où les femmes arrachent leurs droits à partager les responsabilités avec les hommes et le met en scène avec des personnalités très différentes l'une de l'autre. Il existe un précédent dans le cinéma algérien avec La Nouba des femmes du mont Chenoua de Assia Djebar. Cette dernière excluait de son récit tout à la fois les hommes, sauf son mari handicapé et cloué dans un fauteuil roulant, et les femmes en âge de procréer. C'était en 1979 et cela signifiait que les femmes ne pouvaient vivre libres qu'avant la puberté ou après la ménopause. Vingt-cinq ans après et bien des épreuves, l'absence des hommes valides dans Douar de femmes permet de mesurer combien la résistance des personnes dites du sexe faible a permis à l'Algérie de rester debout. Ce qui m'a frappé également dans ce film, c'est le retour (peut-être inconscient) de Mohamed Chouikh à la tradition de la mise en scène théâtrale, dont il est après tout issu. Les cadrages eux-mêmes et le peu de mouvement de la caméra de Allel Yahyaoui contribuent, avec le texte, à faire de cette comédie une sorte de vaudeville tragique dans lequel la clairière de la forêt remplace la scène du théâtre. Les actrices viennent tour à tour jouer leur part du rôle avec des répliques parfois très audacieuses qui font peu à peu voler en éclats les tabous coutumiers. On retrouve en particulier une Nawal Zaâter truculente aux côtés des autres actrices du film toutes très enjouées. Contrairement à La Citadelle ou à La légende du septième dormant, Chouikh se base essentiellement sur une mise en scène du verbe plutôt que sur l'action. Le film appartient en cela à cette longue tradition que s'est forgée le cinéma algérien d'être un cinéma féministe au masculin. Jusqu'à l'arrivée de Mina Chouikh et de toutes celles qui, à présent, se chargent directement de parler des femmes. Toujours est-il que les spectateurs n'ont pas boudé leur plaisir tout au long de la projection. Ce film, qui sans doute n'aurait pas été possible quelques années plus tôt, montre que la société algérienne est armée pour la tolérance et le partage d'opinions contradictoires. Sachant ensuite la difficulté de monter un film par les temps qui courent, on ne peut que rendre hommage à Mina et Mohamed Chouikh pour leur contribution à la survie du cinéma en Algérie. Il convient également d'associer à cet hommage les producteurs, dont la Télévision et le ministère de la Culture, qui soutiennent la production cinématographique en dépit du peu de ressources financières disponibles. Douar de femmes est exactement le type de film commercial à thème, dont le public a besoin. Mais comment atteindre le public lorsqu'on ne dispose que de quelques cinémas encore en fonctionnement ? Les miracles sont faits pour être furtifs et passagers. Faire des films, c'est bien. Rouvrir les 200 salles encore disponibles, mais fermées, assurerait au moins en partie l'autonomie financière de la cinématographie algérienne. Souhaitons tout de même une bonne année au cinéma algérien. Il en a bien besoin.

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