La télévision nationale est condamnée à se réformer sous peine de disparaître du champ audiovisuel», a déclaré le ministre de la Communication lors de la séance plénière du Conseil de la Nation. En avouant devant les parlementaires que l'Unique a des problèmes d'audience, il enfonce le clou en affirmant que cette dernière «est le produit de politiques qui l'ont malheureusement empêchée d'assumer le service public comme il se doit.» Les hommes de l'ombre qui tirent les ficelles et qui agissent sur les programmes apprécieront… Même s'il ne s'agit pas d'un scoop, les Algériens ayant divorcé avec leur télé depuis longtemps pour les raisons évoquées qui sont de notoriété publique, le sermon de Nacer Mehal a le mérite de conforter dans leurs thèses tous ceux qui n'ont eu de cesse, à ce jour, de dénoncer l'outrageuse exploitation politicienne du petit écran à des fins purement propagandistes, au détriment de sa véritable vocation d'information et de divertissement. Et si notre télé a atteint aujourd'hui un stade aussi criard de la médiocrité qui la relègue à un rang peu enviable dans le concert télévisuel international, arabe notamment, c'est, il faut le dire aussi, en partie dû à la trop grande passivité ou complaisance de ceux qui la font et qui semblent, par conséquent, trouver quelque part leur compte en se réfugiant derrière le contrôle terrifiant du système politico-médiatique dans lequel ils évoluent et qu'ils présentent comme intransigeant, inamovible, indéboulonnable. Raccourci un peu facile emprunté pour nous dire : il y a un parapluie, le produit final plaît globalement aux chapelles dirigeantes, pourquoi aller plus loin ?… Oui, pourquoi exiger du P-DG de l'Unique d'aller plus loin quand on a plutôt tendance à le féliciter en haut lieu pour sa rigueur à domestiquer la boîte à images sans trop de dégâts ? A qui donc s'adressait au juste le ministre pour espérer changer le décor ? Aux politiques auxquels il voudrait demander d'être moins «polluants» pour laisser la Télévision nationale respirer et accomplir sa mission loin de toute influence idéologique, ou bien alors aux professionnels de la télé qui doivent avoir «du génie algérien, de la créativité algérienne et un nouvel état d'esprit pour comprendre que le monde change» ? Son allocution qui avait des accents pathétiques ciblait sûrement les deux. Mais ce qui nous intéresse, ce n'est pas tant la prédiction d'un ministre qui s'obstine à vouloir foncer droit dans le mur tout en sachant qu'il ne représente rien dans l'échiquier décisionnel, la télé nationale ayant toujours dépendu de cellules occultes qui ont la charge de contrôler son orientation, mais c'est la persistance d'une marque télévisuelle nationale bas de gamme qui à force d'être improductive en raison de ses horizons complètement bouchés, joue désormais dangereusement contre toute politique de changement qu'elle soit réelle ou supposée. Politique de changement soutenue par l'effort indispensable d'amélioration de la qualité qui doit animer tout esprit d'entreprise. Il n'y a qu'à voir comment est fabriqué le programme de l'Unique pour se rendre compte de la vacuité des émissions grand public qui ressemblent pour la plupart à d'énormes gâchis et desquelles se détachent de plus en plus les téléspectateurs locaux pour aller trouver ailleurs l'objet de leur curiosité. Est-on conscient au Bd des Martyrs de cette discordance flagrante qui caractérise la relation entre le produit fini et sa perception ? Autrement dit, que des émissions comme celles par exemple classées dans le registre de la confrontation politique s'avèrent être de grands bides qui rendent de très mauvais services au débat national concernant les questions politiques pertinentes sur lesquelles les Algériens veulent avoir un éclairage. Mal conçues, mal présentées, ces émissions n'arrivent pas à retenir le public pour lequel elles sont destinées. Elles laissent confortablement la place aux émissions étrangères qui attirent donc malgré elles les Algériens, même si les sujets abordés sont loin des préoccupations de ces derniers.On dit que les téléspectateurs algériens aiment bien suivre ce que proposent les chaînes françaises, mais on oublie souvent de préciser que c'est grâce à leur qualité technique et artistique et à la fiabilité de leur contenu que les programmes outre-Méditerranée réussissent à faire de l'audience. Pourquoi notre télé se contente-t-elle du tarif syndical médiocre et méprisant, alors que potentiellement elle a les moyens de faire mieux, beaucoup mieux ? Il est vrai, cependant, que pour libérer le nouvel état d'esprit invoqué par le ministre, capable de mener notre système télévisuel vers la compréhension du monde qui change, il faudrait une volonté politique dirigeante qui doit accepter le principe cardinal d'une télévision nationale qui appartient à tout le peuple algérien et non plus à une caste qui fait et défait la chronique selon une vision étriquée du pouvoir absolu, aujourd'hui de plus en plus contestée. Cette même caste qui reste invisible physiquement mais qui délimite, par derrière le rideau, le champ d'action du petit écran doit surtout se faire à l'idée que continuer à scléroser un média aussi capital pour mieux contrôler les pulsations de la société, c'est courir plus gravement le risque de l'infantiliser encore davantage au détriment d'une aspiration citoyenne pour une communication objective, crédible, impérative pour la cause du progrès et du développement du pays. Enfin, la télé étant par excellence le miroir de nos réalités, il faudrait, à cette caste qui n'a pas de visage, cesser de considérer le public algérien comme immature qui a toujours besoin de son guide éclairé pour trouver sa voie. Contrôler ce média pour garantir la stabilité du pays, c'est peut-être la certitude qu'il faudrait remettre en question, car en quoi une télé plus libérée et plus proche des attentes de ses téléspectateurs serait-elle une source de désordre ?