Beaucoup d'émotion avait régné, jeudi soir, sur le théâtre de Constantine à l'occasion de l'hommage organisé à la mémoire de Selim Merabia disparu, il y a quarante jours. Sa famille, ses amis et ses compagnons de route étaient venus se rappeler le parcours de l'homme et témoigner pour la plupart de sa culture, de son intégrité et de sa force de caractère. Celui qui a côtoyé Malek Haddad, Kateb Yacine et le mouvement national de gauche a disparu à l'âge de 65 ans des suites d'une attaque cérébrale après avoir longtemps résisté aux fractures du temps et à l'inculture du pouvoir. Il est parti en laissant une empreinte indélébile dans la ville du Vieux-Rocher, puisqu'on lui doit la merveille qu'est devenu le théâtre de Constantine après sa rénovation. « Un chantier qui l'a usé à force de faire face aux vautours qui voulaient se partager le marché », selon son ami Madjid Merdaci. Le film documentaire réalisé par Ali Aïssaoui et projeté à l'occasion montre ce dévouement au projet et une connaissance parfaite de l'histoire du bâtiment et de ses moindres recoins. Il n'assistera pas, hélas, à la refondation du Théâtre algérien qui lui tenait à cœur mais il aura beaucoup fait pour la relève, comme disait le comédien Karim Boudechiche. Accompagnée par des interludes de guitare offerts par Mohamed Amirèche, la cérémonie s'est déroulée dans la sobriété et a permis aux présents de découvrir les faces cachées de l'existence du défunt. Rares sont ceux qui savaient que Selim avaient activé secrètement dans les rangs de la révolution. Les témoignages rapportés par Larbi Kechid ont souligné son travail aux côtés des martyrs Fadila Saâdane et Amar Kikaya alors qu'il était étudiant et ensuite employé du quotidien colonial La dépêche de Constantine. Dans l'Algérie indépendante, Selim choisira un autre chemin que celui de la révolutionnaire et devint instituteur de langue française. Il reprendra au journal arabisé An Nasr avant d'intégrer le TRC en tant qu'administrateur. Son poste de directeur artistique a permis aux troupes indépendantes d'émerger dans les années 1970 et donner plusieurs comédiens et scénaristes devenus célèbres par la suite, jusqu'à sa nomination comme directeur du TRC en 1994. Sa dernière réalisation en tant que directeur était la pièce El Boughi qui lui avait attiré des inimitiés dans son propre établissement au moment où il dénonçait la paresse et l'esprit rentier qui sévissaient chez les comédiens devenus des fonctionnaires. C'est un pourfendeur des âmes résignées et des imposteurs que nous avons perdus. Sa disparition laisse un grand vide au sein de sa famille et de toute la famille de la culture à Constantine.