Le procès opposant Nabil Karaoui, directeur général de Nessma TV, aux salafistes tunisiens, qui s'est tenu hier au tribunal de première instance de Tunis, a été reporté au 19 avril prochain. Tunis. De notre envoyée spéciale La partie civile, qui a annoncé la constitution de nouvelles personnes, a demandé le report du procès. Cette dernière a également renvoyé le dossier devant le procureur demandant la requalification de l'affaire. Une requête de la partie civile que la défense a rejetée, arguant du fait que c'est le ministère public qui s'est auto-constitué. Le tribunal a renvoyé cette affaire pour la deuxième fois. Les avocats ont travaillé dans des conditions des plus pénibles ; certains ont même éprouvé des difficultés à accéder à la salle d'audience. La salle 2 du Palais de justice, situé sur l'avenu Bab Bent, ne pouvait pas contenir le nombre impressionnant de personnes venues de plusieurs pays pour assister au procès. C'est n'est qu'à 12h20 que l'audience a commencé. Pendant plus de deux heures, l'assistance, qui s'est déplacée pour soutenir le directeur de Nessma TV, attendait la tenue du procès dans un climat d'incertitude. Certains évoquaient déjà le report en voyant Nabil Karaoui sortir de la salle. Devant la mauvaise préparation du procès, personne ne savait ce qui allait se passer. L'un des avocats constitués dans cette affaire avait déclaré, la veille du procès, que l'audience se tiendrait à 11h. Rencontré hier dans le hall du tribunal, le même avocat ne savait même pas s'il aurait la possibilité d'accéder à la salle d'audience. Mêmes difficultés pour maître Bourayou, qui s'est déplacé d'Alger pour défendre Nessma TV ; il s'est retrouvé, à quelques minutes du début de l'audience, confiné à l'entrée de la salle, mais a réussi finalement à se faufiler. Tandis qu'Antoine Garapen, un observateur mandaté par la Fédération des ligues des droits de l'homme, n'a pas pu accomplir sa mission. La salle était archicomble. M. Garapen a enfin trouvé une place, plutôt un petit espace, au fond de la salle ; il a dû monter sur un banc pour suivre l'audience. Mais le bruit remplissant la salle l'a empêché d'entendre. «La justice n'a pas bien préparé le procès», a-t-il déclaré avant qu'un policier n'intervienne pour interdire l'enregistrement. Séance houleuse Dans le hall du Palais de justice, les membres du collectif de soutien à Nessma TV sont mobilisés. Alors qu'ils attendent le procès, les chants patriotiques en vogue pendant la révolution tunisienne fusent dans le hall du tribunal. Des étudiants, des artistes, des journalistes et des militants des droits de l'homme se sont donné rendez-vous pour défendre non seulement Nessma TV mais aussi les acquis de leur Révolution. «Ce procès est un tournant. Il déterminera le devenir de la liberté de la presse, l'indépendance ou pas de la justice et l'orientation de la révolution tunisienne ; c'est pour cela qu'on est là», déclare Nedjla, diplômée en sciences politiques. A l'entrée du tribunal, un groupe de salafistes est là depuis le matin. Il a organisé un sit-in, usant des propos des plus belliqueux à l'égard de la chaîne de télévision et de ses travailleurs ; ils demandent carrément sa fermeture. Pour rappel, le conflit entre Nessma TV et les salafistes tunisiens remonte au 7 octobre 2011, date de la diffusion par cette chaîne du film d'animation franco-iranien Persépolis, qui contient une séquence qui représente Dieu sous les traits d'un vieillard barbu. C'est le premier procès d'opinion de la Tunisie libre. Les islamistes tunisiens accusent M. Karaoui «d'atteinte aux préceptes de l'islam». Le procès avait déjà été programmé le 17 octobre de l'année dernière, mais il avait été reporté. Le procès par procuration d'Ennahda La diffusion du film en dialecte tunisien par la chaîne privée Nessma a suscité une violence sans précédent chez les islamistes, qui sont allés jusqu'à demander la fermeture de la chaîne. Pour ce faire, une pétition circule depuis un moment ; jusque-là, 20 000 signatures ont été recueillies. Ses initiateurs visent à atteindre un million de signatures. «C'est Ennahda qui instrumentalise les autres salafistes», accuse un des avocats constitués dans cette affaire. «Ennahda est au pouvoir. S'il y a un verdict à l'encontre de la liberté de la presse, c'est son image qui sera en jeu. C'est pour cette raison que ce parti utilise les autres», dénonce le juriste. De l'avis de ce dernier, qui se dit croyant, interdire à une petite fille d'imaginer et de rêver de Dieu est l'extrême forme de l'extrémisme. «Nous avons tous rêvé de ce que pourrait être Dieu», se rappelle cet avocat qui réitère que ce n'est que de la fiction. «Doit-on gommer de l'histoire de la littérature arabe Rissalat El Ghoufran d'Abou El Ala El Maâri (œuvre littéraire qui parle de l'athéisme) ?» se demande l'avocat. Ce procès vise à bâillonner à la fois la création artistique et la liberté de la presse. Dans une atmosphère très tendue, le procès s'est déroulé. Il est marqué par la pression des salafistes et par la présence de représentants des médias venus de plusieurs pays, de militants des droits de l'homme et de citoyens tunisiens soucieux du devenir de leur révolution.