Fouzia Aït El Hadj a confié que sans l'encouragement de Keltoum, elle aurait pu abandonner le théâtre. Marie Suzanne, épouse du défunt comédien Rachid Ksentini, n'était pas seule à monter sur scène durant les années 1930 et 1940 en Algérie. «Amira, Ghazala et, bien sûr, Keltoum, étaient, elles aussi, montées sur les planches. A une certaine époque, les hommes avaient campé le rôle de femmes, en raison de la rareté des comédiennes. On faisait parfois appel à des danseuses pour des petits rôles», a expliqué la chercheuse, Djamila Mustapha Zegaï, de l'université d'Oran, lors d'un débat organisé vendredi à l'ex-lycée Pierre et Marie Curie de Annaba, en marge du premier Festival culturel national de la production théâtrale féminine qui se déroule jusqu'au 31 janvier. Elle a relevé qu'à l'époque, certains imams, des membres des oulémas et des journalistes conservateurs étaient opposés à la montée de la femme sur les planches. Après la Deuxième Guerre mondiale, en 1945, plusieurs femmes sont venues au theâtre, à l'image de Dhouria Djamel, Aouicha, Zouina, Fadhéla Dziria et Nouria Benayda. Keltoum n'était plus seule. «Pendant longtemps, l'absence des femmes était un frein à la création artistique. Le manque de comédiennes pouvant s'exprimer en arabe dialectal ou classique en était un autre. La présence de la femme dans l'écriture dramaturgique ou dans la scénographie était quasiment nulle. Actuellement, même si une femme écrit un texte, le metteur en scène, homme en général, s'impose comme celui qui fait la pièce théâtrale», a-t-elle regretté. Elle a cité les expériences d'Assia Djebar, Sophie Amrouche, Najet Taïbouni et Fatima Gallaire comme des exceptions. L'écriture dramaturgique des femmes a été, selon elle, souvent marginalisée. Pourtant, Fatima Gallaire, qui vit en France, a écrit une quarantaine de pièces dont peu ont été traduites en arabe, en tamazight ou montées sur scène en Algérie. «Keltoum a accompagné la renaissance du théâtre algérien dans les années 1960 en jouant dans une dizaine de pièces. Elle était aux côtés de Mustapha Kateb, Abderrahmane Kaki, Mahieddine Bachtarzi, Mohamed Boudia et Abdelhalim Raïs. Pendant longtemps, le rôle de la mère et de l'épouse a marqué l'itinéraire artistique de Keltoum. Son jeu a été réaliste marqué par une forte volonté de porter haut la voix de la femme», a souligné l'universitaire. Lors des débats, Fouzia Aït El Hadj, metteur en scène, a rappelé que Keltoum maîtrisait les langues arabe et française. «Dans Mort d'un commis voyageur, j'ai travailIé avec des grands du théâtre, tels que Zekkal, Kouiret, Kasdali, Benani, Nadia Talhi et, bien sûr, Keltoum. Lors de la première lecture du texte, Larbi Zekkal lisait un journal, manière de dire ‘‘qu'est-ce qu'elle raconte celle-là !'' . Les comédiens n'avaient jamais été dirigés par une femme auparavant. Aussi, m'ont-ils prise de haut. C'était difficile de travailler avec eux et avec l'administration du théâtre, en l'occurrence Ziani Chérif Ayad. Il m'a fallu neuf mois pour monter cette pièce. Je voulais abandonner. On a tout fait pour casser mon travail. La seule qui m'a encouragée était Keltoum. Je lui dois beaucoup», a-t-elle témoigné. Keltoum devait confier plus tard à Fouzia Aït El Hadj qu'elle rêvait d'être dirigée par une femme au théâtre. «J'aurais pu arrêter définitivement le théâtre si ce n'était l'encouragement de Keltoum», a-t-elle dit. Fadéla Hachemaoui, pour sa part, a rendu hommage à Keltoum l'infatigable. «Une femme en fer. Elle pouvait refaire sept ou huit fois la scène sans se lasser. Aujourd'hui, j'ai constaté que certaines comédiennes se fatiguent au bout de deux répétitions», a-t-elle souligné. Djamila Mustapha ZegaI a relevé également qu'actuellement, des parents empêchent leurs filles de poursuivre une carrière artistique après une expérience dans le théatre universitaire.