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Le plafond de verre
Yamina Benguigui (Réalisatrice)
Publié dans El Watan le 20 - 02 - 2006

La discrimination est diffuse, discrète, cachée et surtout implacable. Quand on s'appelle Saïd ou Mohamed, Ibrahima ou Fatoumata, il n'est pas bon de prétendre à un poste de cadre. La France n'aime pas ces « intégrés ». Pas de place pour eux. Yamina Benguigui donne un visage d'une France en échec, d'une France qui entend rester monocolore, blanche et chrétienne. Les témoignages sont bouleversants.
Voilà un film à montrer à Nicolas Sarkozy, Alain Finkielkraut et à tous ceux qui veulent en découdre avec la « racaille ». Le plafond de verre montre avant tout l'échec de la République. Car l'échec est avant tout celui d'une France qui refuse de faire une place à tous ses enfants, l'échec d'une France qui désespère ceux qui ont cru (croient) en elle, l'échec d'une France qui a peur. Parce qu'un Arabe ou Africain n'est capable, selon cet imaginaire colonial, que de s'atteler à des tâches manuelles. Un cadre black ou beur est inconcevable dans cette France qui cultive la désespérance. Il faut aller voir Le plafond de verre pour comprendre que les dernières émeutes des banlieues ne sont qu'une poussée de fièvre. Que d'autres émeutes, forcément plus violentes, mieux construites, sont possibles, voire probables. L'ascenseur social est désespérément en panne pour Ali, Fatoumata et Réda. A cause de leurs origines et de la couleur de leur peau. L'égalité relève au mieux d'une mauvaise blague. « Le but est de montrer les aspects invisibles et pernicieux de la discrimination dont souffrent les gens issus de l'immigration. Quoi qu'ils fassent, quels que soient leurs efforts, ils se heurteront au "plafond de verre". Contrairement à ce qu'affirme la Constitution, nous ne naissons pas libres et égaux en droits. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : le taux de chômage des jeunes diplômés issus de l'immigration est trois fois plus élevé que celui de la moyenne nationale. A compétence et à diplôme égaux, ils n'accèdent même pas à l'entretien d'embauche ! Voilà pourquoi j'ai fait ce film », explique Yamina Benguigui. Les témoignages se succèdent dans son documentaire. Celui d'un mathématicien d'origine algérienne obligé de se reconvertir dans le jardinage et celui de la famille ivoirienne montrent toute l'hypocrisie et les limites de l'intégration. « Nous avons tout fait. Il faudrait que la société ouvre la porte. Maintenant, le problème de l'intégration est de l'autre côté, pas du nôtre », constate la mère, comptable. Elle sait de quoi elle parle. Son mari, électronicien, avait le choix entre maître chien ou le chômage. Depuis, il tient en laisse son berger allemand. Leurs enfants, arrivés à l'âge adulte, ne trouvent pas de stages. « Avec mon nom et mon accent, les gens me prennent pour une blanche au téléphone. Au moment de l'entretien, ils sont surpris par mon physique et la couleur de ma peau », note leur fille. Son frère acquiesce. La famille entière est discriminée. Ce documentaire s'attache aux difficultés des diplômés à trouver un travail. « C'est la toute première génération de diplômés issus de l'immigration qui émerge dans la société française et qui subit de plein fouet une exclusion tacite liée à l'origine ethnique, alors qu'ils ont consenti avec leurs familles à d'énormes efforts pour, comme le dit Philippe Bataille dans le film, "remonter la pente'', compenser les handicaps". Qui plus est, par l'école et l'université, ils ont su gravir tous les échelons, mais ils ne parviennent pas à franchir les portes de l'entreprise, porteuse de tous leurs espoirs. Pour eux comme pour la société, c'est un terrible constat d'échec », remarque si justement Yamina Benguigui. Un moment à la fois drôle et émouvant : Méziane, un Kabyle qui passe, selon sa propre expression, pour un Norvégien. Blond, yeux clairs, l'enfant de la banlieue a gravi quelques échelons. Devenu recruteur, il avoue qu'il lui est arrivé de se poser des questions quand il voit des CV provenant de Corbeille-Essonnes, banlieue dite « sensible ». Un défricheur qui renvoie l'ascenseur. La seconde partie, les défricheurs, est un bol d'oxygène. La cinéaste a donné la parole aux rares personnes issues de l'immigration africaine et arabe qui occupent des postes correspondant à leurs diplômes. La France des cadres est monocolore. On comprend mieux le titre du film Le plafond de verre, expression utilisée par les sociologues américains pour désigner le couvercle invisible qui s'oppose à l'élévation des femmes dans la hiérarchie sociale. Ici, elle désigne le système par lequel les jeunes et moins jeunes diplômés beurs et blacks se trouvent écartés du marché de l'emploi.

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