«Nous sommes prêts à assumer toutes les charges à nos frais si vous consentez à déplacer la statue de Jean Amrouche dans un lieu autre que cette place publique sur laquelle elle est érigée.» Voilà, en substance, le principal message délivré par les plus hautes autorités de la wilaya de Béjaïa au président de l'association Jean et Taos Amrouche d'Ighil Ali, convoqué quelques heures seulement avant l'inauguration de la stèle, devant un conseil de sécurité de la wilaya réuni au grand complet. Le prétexte est tout trouvé : Jean Amrouche ne saurait habiter une place publique dont on s'est rappelé qu'elle avait été, un jour, hâtivement baptisée place des Martyrs, même si tout le monde ne désigne et ne connaît cette fameuse place que par son nom d'origine «Essouq», car elle abrite le marché hebdomadaire communal. Bien avant le wali, c'est l'ONM (Organisation des anciens moudjahidine) qui a sonné la charge contre l'association initiatrice du projet de la stèle, en assignant ses membres devant la justice, pour on ne sait quelle obscure raison. Selon l'avocat de l'association Me Amar Oussalah, l'APC d'Ighil Ali a également assigné son client devant la chambre administrative. Un demi-siècle après l'indépendance, cette famille d'intellectuels et d'artistes que forment Jean El Mouhoub Amrouche, sa sœur Taos et leur mère Fadhma Ath Mansour Amrouche, dérange toujours autant. Dans un communiqué rendu public la veille de l'inauguration de la stèle, l'association dénonçait les «innombrables tracasseries et embûches de toutes sortes visant à saborder l'hommage» qu'elle avait initié. Plus loin, elle ajoutait, à propos de la convocation de son président devant le conseil de sécurité de la wilaya : «Ainsi, la situation de paralysie quotidienne que vit la wilaya de Béjaïa avec des routes nationales coupées à la circulation, des grèves et des mouvements de contestation sociale répétitifs n'a pas fait réagir cet auguste conseil de la sécurité. C'est la statue d'un poète universel, un humaniste, un homme de lettres, mort il y a cinquante ans, qui le met en état d'alerte.»