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Quelle Constitution et quel processus de légitimation ?
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Publié dans El Watan le 27 - 06 - 2012

Les problèmes politiques majeurs de l'Algérie sont l'absence de liberté et de légitimité dans l'exercice du pouvoir. Les différents régimes qui se sont succédé depuis 1962 se sont reposés sur la répression de tout désir d'émancipation de la société et sur des légitimités – historique, révolutionnaire et électorale – usurpées et/ou dévoyées. Mais les évolutions au plan national et international appellent maintenant à un changement constitutionnel qui prenne en charge les exigences citoyennes et démocratiques. On voit, en particulier, comment en Tunisie, au Maroc et en Egypte la question de la réforme de la Constitution a cristallisé les luttes politiques dans des conditions qui interpellent quant à la possibilité de faire aboutir les aspirations démocratiques.
L'une des missions dévolues à la nouvelle APN est de doter l'Algérie d'une loi fondamentale. L'importance de cet enjeu fait surgir spontanément une multitude de questions. Pourquoi le pouvoir a-t-il choisi le cinquantenaire de l'indépendance pour tenter de renouveler sa légitimité ? Cette APN est-elle légitime à jouer ce rôle constituant ? Quel contenu revêtira la future Constitution et pour quel (s) objectif(s)?
A peu de choses près, les mêmes questions se posent aux forces patriotiques et démocratiques, à l'intérieur ou en dehors des institutions. Et, partant, sont-elles capables de proposer, voire d'imposer un processus de légitimation crédible avec un socle constitutionnel incontestable ? Le processus de légitimation et le contenu de la Constitution étant intimement liés, l'un et l'autre peuvent rapidement mettre en évidence l'objectivité démocratique de toute démarche ou l'inverse.
C'est à ces interrogations et à d'autres, notamment à comment traduire notre projet de société en termes juridico-constitutionnels, que nous voulons réfléchir ensemble, sans exclusive et en toute liberté, sans rejeter la moindre contribution à caractère académique mais avec, avant tout, le souci d'un échange à caractère politique. Ce débat imposé par l'agenda politique national et eu égard à l'enjeu considérable qu'il recèle n'est, nous espérons, que la première rencontre, dans cet espace de réflexion et de propositions que nous vous suggérons, avant d'aborder d'autres thématiques constitutives de la vie politique.
Ce premier débat est scindé en deux communications* :
- Quel processus de légitimation pour une Constitution démocratique ?
- Quel contenu pour une Constitution démocratique ?
* Les deux communications avec l'introduction du modérateur ne dépasseront pas une heure. Le reste est consacré au débat. La conférence-débat est animée par un militant du MDS et un animateur de l'Initiative pour la refondation démocratique (IRD). La manifestation a eu lieu le samedi 23 juin de 10h à 13h, au 67, bd Krim Belkacem (ex-Télemly), Alger.
Quel processus de légitimation et quelle Constitution ? *
Ma communication traitera de l'ensemble des questions contenues dans le texte de présentation. J'essayerai d'énumérer un minimum de critères indispensables à la réussite de tout processus de légitimation et enfin sur quel socle de valeurs, fondements et principes doit reposer une Constitution démocratique.
L'une des missions dévolues à la prochaine APN est de doter le pays d'une nouvelle Constitution. Les premières questions : pourquoi maintenant et pourquoi cette procédure ?
Pour la première question, il y a d'abord les apparences et ensuite la réalité. Les apparences sont évidentes. Cinquante ans après l'accession de l'Algérie à la souveraineté internationale, il est temps de renouveler le personnel politique et les normes constitutionnelles. La réalité est autrement moins reluisante que ce vœu secret. Elle est précédée de signes plutôt inquiétants :
- stock symbolique lié à la guerre d'indépendance inaltérable pour favoriser le parti du FLN ;
- élections destinées plutôt à l'extérieur qu'à l'intérieur ;
- opacité dans l'organisation du scrutin, dont le secret qui entoure le fichier électoral national est symbolique de cet état de fait.
Les constats énumérés ci-dessus sont révélateurs que la prochaine Constitution connaîtra les mêmes tripatouillages que l'ensemble de ses devancières. Le régime vit désormais sur deux rentes :
- la rente symbolique liée à la lutte de Libération nationale malgré l'irruption du multipartisme. En d'autres termes, la légitimité démocratique n'a pas supplanté la légitimité historique par ailleurs usurpée ;
- la rente pétrolière qui garantit l'achat de la paix sociale pour quelque temps encore.
Cette manière de faire est de garantir la pérennité du système au moins pour la génération de la lutte de Libération nationale qui confirme, une fois de plus, qu'il y a un rapport patrimonial entre cette classe dirigeante et l'Etat. Les agissements ainsi développés n'ont pas permis tout renouvellement générationnel, y compris au sein du système. Les déboires de Ouyahia et, à un degré moindre, de Amar Ghoul – spolié de sa victoire électorale à Alger, selon plusieurs sources – sont significatifs de ce blocage psychologique aux conséquences politiques certaines. Ces méthodes déjà éprouvées décrédibilisent la promesse d'un changement constitutionnel.
Toute instauration de Constitution est précédée d'un processus de légitimation.
On peut juger la crédibilité et la volonté de changement politique au regard de ce processus. Il en existe une multitude entre octroi et conquête de droits.
Les expériences de par le monde montrent l'existence de voies multiples qui peuvent arriver à leur but sans passer nécessairement par la Constituante qui est considérée comme la voie d'excellence puisque le peuple est impliqué directement en élisant ses constituants. Cependant, cette dernière n'est pas exempte de reproches à l'image du dévoiement qu'elle a subi dans notre propre pays en 1963, entraînant un détournement durable de la souveraineté populaire.
Ce fait majeur n'a cessé de tourmenter la vie publique algérienne où l'exercice du pouvoir est confisqué par des techniques électorales au service du parti unique et de ses ramifications postérieures. A la base, il y a un traitement inégalitaire entre les forces politiques inféodées au système et les forces hostiles à celui-ci.
Un processus de légitimation crédible se jauge par l'émission et la mise en place d'un certain nombre de conditions qui sont diverses et variées, dont trois me semblent décisives :
- la mise en place d'une commission électorale représentative et indépendante ;
- la mise à disposition exclusive pour cette mission électorale des ministères de l'Intérieur et de la Justice entre les mains de la commission électorale ;
- accréditation en nombre suffisant d'observateurs nationaux et internationaux pour l'ensemble du processus électoral, selon les standards internationaux. Le cas tunisien peut servir d'exemple.
Il faudrait ensuite définir les mécanismes de régulation d'accès au pouvoir :
- l'égal accès aux médias et plus, globalement, la garantie du pluralisme politique;
- l'égale disposition des moyens de l'Etat pour l'ensemble des compétiteurs.
D'autres conditions peuvent être émises mais l'essentiel me paraît dans la mise en place de garanties pour un scrutin libre et le non-usage de la violence. Ce sont ces deux critères qui peuvent faire adhérer l'opinion publique à l'entreprise constituante, mais, à tous égards, il ne peut exister de processus crédible et sincère s'il n'est pas précédé d'un rapport de forces politiques en faveur du changement. Rien ne se donne en termes de droits et libertés, tout s'arrache. C'est ce rapport de forces à construire en faveur du changement qui peut aiguiser les contradictions internes du système pour l'imploser ou le faire évoluer. Il me paraît que la construction de ce rapport de forces est d'abord et principalement interne au pays mais, à l'heure de la globalisation et de l'émergence d'une opinion publique mondiale grâce, notamment, à internet, il est très utile d'impliquer cette dernière. Par ailleurs, les pouvoirs autoritaires craignent sérieusement pour leur image de marque vis-à-vis de l'extérieur ou la perception de leur gouvernance au niveau international qu'il faut prendre en considération cette caractéristique dans l'évaluation et l'instauration du rapport de forces. La lutte en faveur du changement démocratique réside d'abord dans la capacité des forces se réclamant de cette idéologie à conjuguer leurs efforts pour traduire leur projet de société en termes constitutionnels. Le premier combat se situe dans l'explicitation de la notion de démocratie qui n'est pas réductible à une technique arithmétique. Un grand constitutionnaliste américain définissait la Constitution démocratique par la garantie offerte aux minorités en termes de protection.
Il faut partir du diptyque définitoire de la démocratie – liberté et égalité – pour donner de la charpente idéologique à la Constitution démocratique. Les droits et libertés doivent être au centre de notre préoccupation constitutionnelle, dont l'Etat de droit est le pilier.
Cependant et sans être arbitraire, ce dernier peut consacrer l'inégalité. Prenons par exemple trois cas typiques de la discrimination que l'on retrouve dans différents pays musulmans, à titre partiel ou global, selon les législations judiciaires :
- supériorité de l'homme sur la femme ;
- supériorité du croyant sur le non-croyant ;
- supériorité du maître sur l'esclave.
Si ces critères juridiques sont consacrés constitutionnellement par la logique du nombre, l'Etat de droit ne se référera qu'au respect de la hiérarchie des normes, dont la loi fondamentale est l'expression suprême. Alors, l'inégalité en droit est consacrée et, la citoyenneté écrasée. D'où cette nécessité absolue et impérative d'adosser aux libertés la notion d'égalité. L'une ne va pas sans l'autre. La liberté et l'égalité sont les deux assises juridiques et philosophiques de la démocratie politique.
Par ailleurs se pose la question de la garantie de la loi. L'une des premières pistes à explorer est d'analyser s'il faut maintenir ou non le Conseil constitutionnel. Dans le cas de son maintien, il faut changer les critères de désignation de ses membres ainsi que le mode de saisine qu'il faut élargir au peuple sous certaines conditions. A défaut, il faut trouver une institution équivalente. De toutes les façons, la règle d'or en la matière et de l'équilibre général du fonctionnement institutionnel et politique est la séparation des pouvoirs entre l'exécutif, le législatif et le judiciaire. L'autre volet de la Constitution démocratique est la sécularisation de l'exercice politique. La sécularisation des institutions est l'une des priorités pour l'accomplissement du projet démocratique. Ce sera un combat de longue haleine qui est cependant l'une des pierres angulaires du pacte social et du vivre-ensemble. Se soustraire à cet idéal, c'est permettre à l'antithèse démocratique de triompher. Il n'y a pas aujourd'hui dans le monde une Constitution démocratique qui ne tienne pas compte de ce critère. La sécularisation peut revêtir différentes formes et ne peut être abordée exclusivement sous le prisme de la laïcité française. L'histoire de l'islam à travers les âges, l'organisation ancestrale de notre pays en particulier et du Maghreb en général et l'expérience turque en cours sont à disséquer de manière sérieuse pour ne pas s'enfermer dans un discours univoque. Le plus important est d'arriver à la séparation des champs politique et religieux.
Le monde est en pleine évolution et des tendances lourdes sont en train de se dessiner qui sont à la fois supranationale et infranationale.
L'expression de la citoyenneté trouve son efficacité au plus bas de l'échelon, car la gestion de la cité possède ses propres spécificités. L'Algérie a hérité de la colonisation son schéma administratif le plus jacobin de la planète. Notre pays a tout récusé du colonialisme, sauf ce modèle d'organisation politico-administratif. Il est, à notre sens, obsolète et pas représentatif des nouvelles revendications, aspirations et nécessités régionales qui peuvent s'exprimer sur l'immensité de notre pays. La Constitution démocratique doit, là encore, consacrer la liberté et l'égalité dans la gestion des territoires. La loi fondamentale doit trouver la juste articulation des compétences entre le pouvoir central et les pouvoirs des régions à définir. L'expérience de la lutte de Libération nationale avec six ensembles stratégiques a été probante.
La question linguistique, au-delà des problèmes identitaires qu'elle soulève, doit être traitée à l'aune des deux notions constitutives de la démocratie. L'égalité de traitement entre les langues arabe et tamazight est le minimum pour rattraper le temps perdu et renforcer l'intégration nationale. Restera l'épineuse question de l'armée.
Dans un processus de légitimation à mettre en place, l'armée est obligatoirement partie prenante de celui-ci étant donné son rôle important, même dissimulé, dans la vie publique. Et puis, ce processus n'a de crédibilité que s'il associe les forces antagoniques pour trouver la norme équitable afin de se parler et de dégager les voies et les moyens d'un changement. Cependant, le changement constitutionnel démocratique ne peut être équivoque sur le futur rôle de l'armée et des services de renseignement, à savoir leur mission de défense du territoire et de la sécurité de l'Etat sous les ordres du pouvoir politique démocratiquement élu. C'est la citoyenneté – droits et devoirs envers l'Etat – qui scelle notre pacte social du vivre-ensemble – dont l'égalité juridique est la norme des normes. La citoyenneté agissante doit être le guide de notre combat pour l'émergence de l'Etat de droit qui appliquera la même loi pour tous. Celle-ci n'a de valeur transcendante que si elle met en scène l'égalité et la liberté. 

Tarik Mira. Député indépendant


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