Le cannabis est la substance la plus largement utilisée suivie de l'alcool et des psychotropes. De pays de transit, l'Algérie s'est transformée en pays de production et de consommation de drogues, ont alerté les participants à la journée d'étude sur la toxicomanie organisée, la semaine dernière, par le CHU de Tizi Ouzou. Une étude épidémiologique nationale, réalisée en 2010, fait état de 300 000 consommateurs de cannabis, a indiqué le docteur K. Boussayoud. Le profil social des drogués se présente comme suit : 60% ont moins de 30 ans, le plus souvent célibataires (69,4%), insérés professionnellement (49,1%), ayant des antécédents judiciaires (27%), polytoxicomanes (55,4%), associant le cannabis à d'autres substances (68,7%). «Les statistiques des services de sécurité et des Douanes montrent un accroissement des saisies, notamment pour le cannabis ainsi que l'augmentation des affaires judiciaires traitées en matière de trafic de drogue», a relevé le conférencier. «Un marché parallèle interne pour les psychotropes et les substances opiacées existe en Algérie», a ajouté ce spécialiste, précisant que le cannabis est la substance la plus largement utilisée, suivie de l'alcool et des psychotropes. Plusieurs facteurs s'associent et font craindre le développement à large échelle du fléau. Le même intervenant citera notamment la situation géographique particulière de l'Algérie, un contexte démographique et une situation socioéconomique de crise évoluant depuis plusieurs années. Plus de la moitié de la population masculine a moins de 20 ans et plus de 60% des femmes ont moins de 30 ans. De plus, le chômage, la déperdition scolaire importante, le phénomène de contrebande, la crise du logement exacerbent, à juste titre, la toxicomanie, analyse le docteur Boussayoud. «Ce fléau touche, désormais, toutes les franges de la société et prolifère d'une manière inquiétante», fera remarquer le professeur Abbès Ziri, psychiatre et directeur général du CHU de Tizi Ouzou. Des réflexions sérieuses impliquant tous les acteurs censés intervenir dans la lutte contre ce phénomène doivent être lancées, dira-t-il. Aussi, il préconise la mise en place d'équipes multidisciplinaires qui assureront un travail effectif sur le terrain. Développant un autre aspect, le professeur Oukali, de l'établissement hospitalier d'El Madher, a mis en garde quant à une hyper-prescription de tranquillisants par les médecins, qui peut entraîner un état de dépendance chez le malade. «Une prescription incontrôlée, prolongée et abusive de tranquillisants pour le traitement des cas d'anxiété et de troubles du sommeil induit une dépendance physique et psychique chez le patient qui, pour faire face à une situation de manque, peut recourir à l'automédication.» Selon lui, certains médecins recourent à des solutions de facilité en prescrivant des médicaments à durée de vie courte, autrement dit qui ont un effet de traitement symptomatique rapide. Un comportement qui ouvre, a-t-il averti, la porte à d'autres troubles, notamment l'accoutumance et la dépendance. Pour y remédier, ce praticien prescrit un sevrage progressif par la diminution des doses de tranquillisants et d'anxiolytiques. Pour le docteur Bouguermouh, de l'hôpital Frantz Fanon de Blida, des patients phobiques utilisent les effets apaisants de l'alcool et s'en servent comme d'une molécule désinhibitrice et stimulante. «Cet effet facilite chez eux l'exposition aux situations qui leur font peur. Il peut leur arriver, par exemple, de consommer des substances avant une représentation ou avant de prendre la parole en public». Le docteur A. Bouferache, de l'hôpital de Sétif, a consacré son exposé au cannabis et aux troubles cognitifs. «Cette drogue exerce, par le biais de son principe actif, une action principalement sur les récepteurs cannabinoïdes existant dans le cerveau (hippocampe, cervelet), ce qui engendre une augmentation de la dopamine qui est impliquée dans de nombreuses fonctions essentielles à la survie de l'organisme, comme la motricité, l'attention, la motivation, l'apprentissage et la mémorisation qui se trouveront donc perturbées», a expliqué le conférencier. Le docteur Seklaoui témoigne : «La toxicomanie est un phénomène complexe qui peut prendre des formes très différentes d'un consommateur à l'autre. Elle s'accompagne de difficultés de fonctionnement dans une ou plusieurs sphères de la vie et d'une souffrance subjective. Souvent, le toxicomane est en situation de souffrance, malgré son désir d'arrêter sa consommation. La dépendance physique et psychologique crée un besoin irrésistible de consommer au détriment de la santé, du fonctionnement social ou des liens affectifs.» Rappelant les efforts du ministère de la Santé pour la prise en charge des toxicomanes et la lutte contre la consommation de drogues, le directeur du CHU de Tizi Ouzou a fait état de l'ouverture de deux centres de désintoxication à Blida et à Oran. «Un programme de réalisation de 13 autres centres, dont un à Tizi Ouzou, est en cours de réalisation», a-t-il signalé. A cela s'ajoutent 180 centres d'orientation et d'écoute et 53 Centres intermédiaires de soins aux toxicomanes (CIST) qui sont opérationnels au niveau national.