Le contrat de vente d'armes mirobolant (7,5 milliards de dollars) paraphé ce week-end par la Fédération de Russie avec l'Algérie, à l'occasion de la visite à Alger du président Poutine, commence à faire grincer des dents dans certaines parties du monde. Les premiers à appréhender la décision de Moscou d'effacer l'ardoise de 4,7 milliards de dollars contractée par l'Algérie auprès de l'ex-URSS et de livrer de l'armement à l'ANP sont les médias de l'Union européenne. Nombre d'entre eux ont perçu les accords conclus entre Alger et Moscou comme une confirmation du « réengagement amorcé par Moscou sur la scène arabo-musulmane, que ce soit dans la crise du nucléaire iranien ou dans les relations avec l'Autorité palestinienne depuis le triomphe électoral des intégristes du Hamas » et de sa volonté d'élargir sa zone d'influence. Plusieurs think tanks estiment, en effet, que le fait que la visite de M. Poutine à Alger a été l'occasion d'annoncer simultanément l'effacement de l'ensemble de la dette algérienne envers la Russie « révèle la nature politique de ces ventes d'armes ». Un fait, selon eux, qui confirme également les projets du Kremlin de s'imposer comme un acteur incontournable sur la scène internationale. Les importantes réserves en hydrocarbures et la bonne santé financière de la Russie sont les arguments, pour ces think tanks, qui permettent déjà aujourd'hui à Moscou de s'affirmer de manière aussi ostentatoire - et pour la première fois depuis l'effondrement de l'URSS, sur la scène du Maghreb et du Moyen-Orient. Un terrain réputé être, durant ces dix dernières années, la chasse gardée exclusive des Etats-Unis d'Amérique. Mais, fait inhabituel, face aux appréhensions affichées par les milieux médiatiques européens, aucun commentaire américain n'a, pour le moment, accompagné les accords algéro-russes. Est-ce à dire que les ambitions de Moscou dans le monde arabe, en particulier au Maghreb, ne contredisent pas fondamentalement les intérêts de Washington ? C'est ce qu'il faudrait croire. Dans le cas contraire, le porte-parole du département d'Etat n'aurait probablement pas hésité à dire ce qu'il pense de la série d'accords signés par les présidents Bouteflika et Poutine. Il est de tradition, en effet, que le gouvernement américain réagisse à chaud dans des cas de ventes d'armes, problématiques à ses yeux. Le recul avec lequel la presse américaine a traité l'événement laisse justement supposer que les ambitions de la Maison-Blanche sont différentes de celles de la Russie en Algérie. Du moins, que ses intérêts immédiats ne sont pas en danger. Possible. Car, si le complexe militaro-industriel russe vient de réaliser le « contrat du siècle » avec l'Algérie, il se peut aussi que les Etats-Unis aient déjà garanti un marché important avec l'ANP. L'UE perd-elle le marché algérien des armes ? Le projet récent du département américain à la Défense de se pencher sur les commandes formulées par l'Algérie en matière d'armement spécifique et de formation conforterait cette hypothèse. Des commandes justifiées, rappelle-t-on, par la lutte mondiale contre le terrorisme dans laquelle l'Algérie et les Etats-Unis ont fini par devenir des partenaires exemplaires. Donc, à terme, il est peu probable de voir Washington et Moscou se marcher sur les pieds au Maghreb central dans la mesure où chacune de ces deux capitales semble trouver son compte. Surtout que dans le même temps, l'Algérie paraît tirer pleinement profit de sa politique de coopération économique et militaire fondée sur la diversification des partenaires. Toutefois, le fait de voir l'Algérie « ventiler », sans y être associés, son budget de la défense entre Moscou, Washington, Pékin, les anciennes Républiques d'Europe de l'Est et à un degré moindre l'Espagne pourrait, en revanche, amener certains pays de l'Union européenne à se tirer les cheveux. Forts de leurs certitudes, ces pays se sont montrés persuadés, ces derniers mois, que les marchés algériens leur seraient servis sur un plateau d'argent par la grâce de leur accord d'association avec Alger. Ce qui aujourd'hui, évidemment, ne s'avère pas être le cas. Après coup, cela expliquerait pourquoi on trouve tellement à redire à propos de cette première visite, en Algérie, d'un chef d'Etat russe.