Durant les soirées de la deuxième moitié du Ramadhan, les rues se transforment en fourmilières. Elles grouillent de monde. Les chefs de famille sont à la recherche du moindre «indice» pouvant déterminer leur choix du magasin pour l'acquisition des habits de l'Aïd. Dans la capitale, des embouteillages monstres se forment chaque soir sur les routes menant vers les centres commerciaux. En ville, ce sont les magasins spécialisés en vêtements pour enfants qui sont pris d'assaut. Du beau et pas cher, ça existe ? C'est la question que se posent les parents dès qu'ils se rendent compte que le prix de l'article qu'ils souhaitent acheter dépasse de loin leurs moyens. «2800 DA pour un tee-shirt ?» s'exclame une maman, visiblement choquée par le prix du vêtement qu'elle voulait acheter. «C'est trop cher», finit-elle par reconnaître, avant de convaincre son mari d'aller voir ailleurs. Dans ce magasin situé à Bordj El Kiffan, les articles sont prisés pour leur qualité. Importé d'un pays européen, selon son gérant, «les prix sont nettement moins élevés que chez les représentants de cette marque». Un argument qui est loin de convaincre la majorité des clients. «L'ensemble pour enfant, comprenant un pantalon en toile, un tee-shirt et un chemisier, coûtait au maximum 1800 DA au début de l'été, et ces jours-ci, ils le proposent à 3500 DA», s'indigne une jeune maman, en faisant remarquer qu'elle a deux enfants à habiller, chaussures comprises, et vu ces prix, «on ne s'en sortira pas avec moins de 15 000 DA. C'est impossible, nous avons un loyer à payer et la rentrée scolaire à préparer», se plaint-elle. Dans une boutique d'articles pour enfants, située rue Larbi Ben M'hidi, c'est le même climat de tension. Le parents, soucieux d'offrir des vêtements neufs à leurs enfants, comme le veut la tradition, sont tiraillés par l'idée de rompre avec cette tradition. «J'espère que je ne serais pas dans cette situation. Nos parents ont veillé au respect de cette règle et je ne pense pas que ce soit à nous de l'abandonner. Et puis, il n'y a pas d'autres occasions pour habiller les gosses, il faut bien le reconnaître», lâche un père de trois enfants faisant ses emplettes. Une fillette de 11 ans n'a pas pu contenir ses larmes. La robe choisie par sa maman pour la fête de l'Aïd et qui sera également celle portée à la rentrée des classes n'est pas du tout à son goût. «Je ne mettrais pas ce sac poubelle ! Ne me l'achète pas, je ne pourrais jamais la porter», s'insurge la gamine, dont les yeux sont rivés sur une petite jupe noire et un chemisier blanc. Les parents finissent par céder en fermant les yeux sur les 1500 DA de différence. Quand le «made in Turkey» séduit Le «turc» est à la mode. Les Algériens, notamment les jeunes filles, sont sous le charme de ce style en vogue depuis l'invasion des écrans par les séries turques. On ne jure plus que par la petite robe de Samar ou les pantalons de Lamis. C'est l'analyse faite par Brahim, jeune gérant d'un magasin de prêt-à-porter féminin à Alger. Notre expérience renforce l'idée que le produit turc a encore de longues années de gloire, vu les variétés de coupes, la qualité des tissus et l'harmonie entre le souci de paraître belle et branchée tout en restant discrète, contrairement aux produits importés de pays européens qui ne trouvent d'admirateurs que chez une minorité de clients. Une vendeuse estime que c'est plutôt le prix qui définit le choix. Entre un jean turc qui a tout d'un article européen et un produit chinois ou syrien, la question ne se pose même pas. Tous les magasins se sont mis à la mode turque. Les étudiantes, les futures mariées dont les belles-familles doivent fournir une tenue à l'occasion de l'Aïd sont le type de clientes attendues. Il faut dire que la rentrée scolaire et universitaire, coïncidant avec la fête de l'Aïd, a pour effet de booster les ventes. Le trottoir comme ultime recours Devant la cherté des vêtements de fabrication locale ou d'importation et une inflation criante réduisant encore davantage le pouvoir d'achat des ménages, des chefs de famille ont trouvé dans les étals informels un semblant d'échappatoire. Installés un peu partout, les vendeurs à la sauvette proposent des articles à des prix plus cléments que ceux des boutiques ou étals des braderies. 500 DA pour un pantacourt, 900 DA pour un chemisier. On peut y trouver des sandales à 1000 et 1200 DA, des baskets à 1800DA. «Ces articles sont confectionnés dans des ateliers relevant du secteur privé», attestent certains vendeurs. Une mère de famille, examinant une petite robe, finit par l'acheter. «Tout est cher. Je préfère acheter ces habits même s'ils sont de qualité médiocre ; ce sont des vêtements jetables. Ma fille sera contente de porter une tenue neuve, pourquoi gâcher son bonheur ? L'Aïd fini, elle portera ses vêtements habituels, mais au moins, elle n'aura pas de frustration.» Plusieurs vendeurs à la sauvette se sont improvisés marchands de vêtements à l'approche de l'Aïd. Ainsi, des vendeurs de fruits et légumes et d'articles ménagers se sont reconvertis. Sur leurs étals, des jeans et des pantalons classiques sont cédés avec 1000 DA de moins par rapport aux prix pratiqués au niveau des marchés. Les clients examinent les articles sous toutes leurs coutures pour «acheter avec le moins de dégâts». Les articles chinois sont l'échappatoire pour une grande partie des ménages qui n'ont pas les moyens d'habiller ailleurs leurs enfants. D'autres ont fini par trouver l'astuce pour s'en sortir avec de belles tenues à moindre coût : «Pour les filles, j'achète des hauts et des chaussures dans des boutiques de référence, mais pour les jeans et pantalons, je ferme les yeux ; les produits chinois sont nettement moins chers et parfois on trouve de belles choses», explique une mère de famille. Plan débrouille pour un Aïd sans pleurs Avec la tendance inflationniste des prix des vêtements et des inévitables ingrédients pour les gâteaux, les chefs de famille ont leur plan pour passer «un Aïd sans douleur». «Nous avons décidé de supprimer plusieurs sortes de mets pour la table de l'Aïd. On se contente d'une petite quantité de sablés, moins coûteux et pour les autres achats, je fais appel à un ami qui me file 20 000 DA que je rembourse par tranches», explique un fonctionnaire, père de trois enfants. D'autres parents interrogés disent avoir sacrifié leurs vacances. «Par le passé, on pouvait se permettre un séjour dans une ville côtière ou en Tunisie, cette fois-ci, on n'a pas pu, trop de frais», confie une enseignante. D'autres comptent sur la compréhension de leurs enfants : «Ma fille de 10 ans peut bien porter la tenue achetée pour son anniversaire. Son frère a caché le cadeau de ses grands-parents à l'occasion de sa réussite au BEM, et puis, ce ne sont plus des petits !» Les parents retiennent leur souffle ; la machine à dépenser n'est pas près de s'arrêter ; début septembre, ce sera le tour des fournitures scolaires…