C'est l'histoire de «l'abomination coloniale» faite de pratiques barbares courantes durant près de 130 ans sur la totalité du territoire algérien que nous restitue l'historienne française, Sylvie Thénault, avec force détails et, parfois, avec des illustrations poignantes (au début de chaque partie) sous forme de chroniques racontant le vécu de victimes d'un système de punition applicable uniquement aux autochtones, soumis à l'ordre de l'armée d'occupation. Violence ordinaire dans l'Algérie coloniale. Camps, internements, assignations à résidence, c'est le titre de ce livre de Thénault. Il a été réalisé sur la base d'une documentation impressionnante (55 pages entre les notes, les sources telles les archives et les fonds, ainsi que les références bibliographiques). Travail d'universitaire de haute teneur. L'ouvrage est enfin facilement accessible grâce à une table de matières qui offre au lecteur, outre une introduction et une conclusion, trois grandes parties, elles-mêmes divisées : la première en quatre chapitres, la seconde en cinq, et la troisième en trois. Le lecteur trouvera enfin des cartes de l'Algérie indiquant l'évolution (trois au début) de ces terribles lieux de détention où ont été enfermés les dizaines de milliers d'Algériens, suite à des procès rapidement expédiés ou, souvent, à la suite d'une simple décision administrative. En effet, l'auteure précise à ce propos : «‘‘Les propositions'' d'internement (…) émanaient des services de police en milieu urbain et des chefs de commune en milieu rural : maires et administrateurs.» (P. 25). En fait, toute la chaîne de l'autorité participait à l'application de ces lois d'exception, qui n'étaient pas opposables aux justiciables d'origine européenne. Si les «propositions» étaient la plupart du temps émises dans les circonscriptions locales, elles passaient toutes par les sous-préfets et les préfets avant d'être soumises au gouverneur à Alger, qui prononçait la sentence privative de liberté, laquelle ruinait pour toujours la vie d'un homme, d'une famille, voire de tout un groupe. Les motifs d'internement étaient aussi nombreux que les problèmes que pouvait comporter la société dominée ou les causes de répression provoquées par la résistance à la colonisation. Tout était bon pour faire enfermer le colonisé. Ainsi, un rapport pouvait être dressé dès que quelqu'un était arrêté en flagrant délit d'opposition aux forces coloniales ou simplement accusé même sans preuve d'un «délit» quelconque : «(…) par conséquent, figurent des actes délictueux ou criminels. Y sont aussi classés des ‘‘complots'', intrigues, ‘‘guerre sourde'', entretenant une atmosphère d'opposition générale et décrite fonctionnant comme l'action d'un off, c'est-à-dire d'un parti hostile fonctionnant sur un mode clanique». (P. 56). Les formes, la légalité, les principes de 1789 ou, plus tard, ceux dits des droits de l'homme, importaient peu aux yeux des politiques et des responsables des juridictions d'une France déterminée à accaparer l'Algérie et à en asservir ses habitants. Des dizaines de milliers d'Algériens séjournèrent donc en prison, dans des camps d'internement et autres lieux. Nombreux ont été ceux qui y moururent et dont on ne retrouva même pas les sépultures : «Les 24 internés morts à Calvi, identifiables dans les registres d'état civil de la commune, n'ont effectivement pas pu être retrouvées». (P. 100). L'ouvrage de Sylvie Thénault, se suffisant certes à lui-même, gagnerait cependant à être lu à la suite de celui d'Olivier Le Cour Grandmaison intitulé De l'indigénat. Anatomie d'un monstre juridique : le droit colonial en Algérie et dans l'empire français. Ce dernier décrit et analyse un droit d'exception développé pour réprimer les peuples colonisés. Ces règles juridiques ont permis la répression sans limites exercée par «l'abomination coloniale». Sylvie Thénault, Violence ordinaire dans l'Algérie coloniale. Camps, internements, assignations à résidence. Editions Média-Plus, 382 pages, Constantine septembre 2012. Prix 1400 DA