Après la déclaration en début de semaine de Farouk Ksentini qui demandait à la France de se repentir pour les crimes coloniaux, Cherif Abbas, ministre des Moudjahidine, est intervenu hier pour atténuer les propos du président de la Commission des droits de l'homme. Il est curieux que ce genre de chassé-croisé entre des responsables algériens sur la question de la repentance ou des excuses officielles de la France sur la longue nuit coloniale et les exactions qui l'ont jalonnée interviennent à quelques semaines de la visite d'Etat que doit effectuer le président Hollande en Algérie. On ne peut pas dire que ce n'est pas la position officielle de l'Algérie puisqu'elle émane d'un ministre de la République, celui des Moudjahidine, Mohamed Cherif Abbas, qui a affirmé, dans une déclaration à l'Agence presse service (APS), que les Algériens voulaient «une reconnaissance franche des crimes perpétrés à leur encontre par le colonialisme français». Sa sortie médiatique intervient à la veille de la célébration du 58e anniversaire du déclenchement de la Révolution du 1er Novembre 1954. Le ministre a estimé que la «reconnaissance des massacres du 17 Octobre 1961 est d'abord politique, vu la manière dont elle été conçue». En début de semaine, c'est Farouk Ksentini, président de l'organisme non moins officiel qu'est la Commission des droits de l'homme qui a mis le pied à l'étrier en déclarant que «la colonisation a été un crime massif dont la France doit se repentir si elle envisage d'établir avec l'Algérie, comme l'on est en droit de l'espérer, de véritables relations de qualité à la fois nouvelles et denses, mais délivrées d'un passé tragique à l'occasion duquel le peuple algérien a souffert l'indicible et dont il n'est pas sorti indemne et qu'il ne peut effacer de sa mémoire». La sortie médiatique de ces deux responsables sonne en effet comme une réponse aux propos de Laurent Fabius, qui semblent avoir irrité les autorités algériennes. Le ministre des Affaires étrangères françaises avait déclaré, à l'issue de sa visite en Algérie, en juillet dernier, que les Algériens «ne souhaitent pas un traité d'amitié avec la France, mais plutôt un partenariat stratégique», Selon lui, «les Algériens ne souhaitent absolument pas qu'on fasse un voyage tourné vers le passé». Le chef de la diplomatie algérienne, Mourad Medelci, avait refusé de commenter les déclarations de son homologue français en affirmant que «les propos de M. Fabius sont importants et notre réponse interviendra incessamment». Est-ce bien celles, alors, que viennent de donner le ministre des Moudjahidine et le président de la Commission des droits de l'homme ? Tout porte à le croire, bien qu'il faille rappeler que l'Algérie a toujours soufflé le chaud et le froid sur la question de la mémoire et de la repentance de l'ancien colonisateur, la France. Il y a une sorte d'ambivalence dans le discours ou une position à deux vitesses. Le président Bouteflika a eu lui-même recours à ce genre de traitement à des époques différentes ; à l'image d'ailleurs des relations algéro-françaises qui ont tout le temps évolué en dents de scie. Avec l'élection de François Hollande à la présidence française, d'aucuns pensaient que les relations entre les deux pays allaient changer d'optique, mais force est de constater qu'elles achoppent toujours sur la problématique de la mémoire et pas seulement. Ce qui est clair est que les Algériens tiennent, contrairement à ce qu'a déclaré le chef de la diplomatie française, Laurent Fabius, à la reconnaissance des crimes coloniaux commis en Algérie. Et les déclarations de Cherif Abbas semblent s'inscrire en droite ligne de la lettre envoyée par le président Bouteflika à son homologue français le 14 juillet dernier dans laquelle il disait que «les blessures qui en ont résulté pour les Algériens sont profondes mais nous voulons, comme vous, nous tourner vers le futur et essayer d'en faire un avenir de paix et de prospérité pour les jeunes de nos pays». Il ajoutait qu'«il est temps pour cela d'exorciser le passé et d'en faire ensemble, dans des cadres appropriés, un examen lucide et courageux qui contribuera à renforcer nos liens d'estime et d'amitié». François Hollande a fait un pas en reconnaissant les événements du 17 Octobre 1961. Les Algériens lui demandent plus : «Une reconnaissance franche des crimes coloniaux», selon Chérif Abbas. Et encore plus : «Une repentance» en bonne et due forme, selon le président de la Commission des droits de l'homme, Farouk Ksentini.