Les bâtonniers ont dressé hier un tableau noir de la situation de leur profession et de la justice en général. Ils ont décidé de boycotter durant une semaine les tribunaux et les cours à partir du 2 décembre. A partir du 2 décembre prochain, les tribunaux et cours seront paralysés pour une semaine. C'est la décision prise hier par l'Union nationale des avocats à l'issue de son assemblée générale tenue à Zéralda, à l'ouest de la capitale. Elle a également retenu le boycott de toutes les cérémonies d'ouverture de l'année judiciaire au niveau national, dont celle à laquelle prendra part le président de la République, prévue vers la fin de la semaine en cours. Ce sont les principales résolutions prises par les avocats des barreaux d'Algérie. Leur assemblée générale s'est transformée en une véritable tribune de contestation qui dénote d'un grave malaise au sein de la corporation des avocats. Ce qui devait être une simple discussion sur la position à adopter par rapport au projet de loi relatif à la profession – bloqué depuis des années au niveau de la chancellerie – s'est vite transformée en un réquisitoire contre non seulement les membres les représentant de l'Union des barreaux, mais aussi contre le ministère de la Justice. «LA SITUATION EST GRAVE» Dès l'ouverture des travaux, Me Mostefa Lenouar, président de l'Union des barreaux, a pris la parole pour regretter que sur les neuf résolutions prises lors de l'assemblée générale des 14 et 15 octobre 2011 à Béjaïa, seule une, relative à la revalorisation de la rémunération des avocats commis d'office, a été exécutée par la chancellerie. «Les autres sont restées lettre morte. Il s'agit de l'amendement du projet de loi régissant la profession d'avocat, l'amendement du code de procédure administrative avec la participation des représentants de la défense, la baisse de la TVA jusqu'à 5% avec la proposition d'un impôt à la source, la création d'une mutuelle des avocats, limiter le conseil juridique aux cabinets d'avocat, la garantie de l'implication active des avocats dans l'élaboration des textes de loi qui concernent les droits de l'homme, les libertés collectives et individuelles consacrées dans la code pénal et le code de procédure pénale tel que prévu par la commission de réforme de la justice.» Cette assemblée générale, faut-il le préciser, avait été laissée ouverte jusqu'à ce que ses résolutions soient mises en application. Depuis, «rien n'a été fait», déclare Me Lenouar, qui s'insurge contre la chancellerie qui, selon lui, n'a pas pris en compte les préoccupations des représentants des barreaux en dépit d'un boycott de trois jours (25 - 26 et 27 octobre 2011) des audiences au niveau national. Dans la salle, les voix fusent de partout. «Nous voulons parler de ce qui se passe dans chaque bâtonnat. La situation est très grave et mérite d'être mise en lumière», souligne un avocat du barreau de Boumerdès. Le bâtonnier d'Alger, Abdelmadjid Sellini, lui répond : «Nous sommes tous ici pour parler de la situation pour donner la vraie image. Cela fait 12 ans qu'ils nous bernent avec des promesses non tenues. Les droits ne se donnent pas, ils s'arrachent. Il faut taper fort sur la table pour les avoir.» Me Merad, ancien président de l'Union, lui emboîte le pas : «Nous avons trop patienté. Il faut passer à l'action.» En colère, le bâtonnier de Boumerdès va plus loin : «Vous dites que sur les neuf résolutions de l'assemblée générale, seule une a été exécutée. Moi je dis même celle-ci est un leurre. A Boumerdès, il y a plus de 2000 dossiers d'assistance judiciaire bloqués. Les avocats n'ont jamais perçu leurs dus. Il faut aller vers une grève illimitée pour faire valoir nos droits.» DIX MINUTES DE PROCÈS, DEUX PEINES CAPITALES Son confrère, Me Khaled Bourayou abonde dans le même sens : «La justice va très mal. Un tribunal a condamné deux femmes à la peine capitale dans un procès qui n'a duré qu'une dizaine de minutes ; un juge a reçu une chaussure en plein visage lors d'une audience ; un citoyen s'est lacéré le torse avec un couteau dès sa condamnation… ce sont autant d'incidents qui prouvent que le justiciable ne croit plus en la justice. A travers le projet de loi sur la profession, les autorités veulent mettre l'organisation sous le contrôle de la chancellerie (…). En Tunisie, les avocats ont mené une révolution et en Algérie, ils font grève pour une place de parking.» «MÊME LES AVOCATS ONT PEUR DES AUDIENCES» Il cite cela pour montrer cette image pitoyable de la corporation et appelle ses confrères à exiger l'amendement du projet de loi sur la profession afin d'élargir et de renforcer les missions de celle-ci, le droit à la défense afin que le justiciable soit représenté par son avocat, y compris lors de l'enquête préliminaire. Me Abderazak Chaoui fait un vrai réquisitoire contre la justice : «L'heure est très grave. Les témoins, les victimes et la partie civile ont peur d'être aux audiences. Maintenant, c'est l'avocat qui a peur des tribunaux. Où allons-nous ? Qu'avons-nous fait depuis octobre 2011 ?» La seule avocate femme qui intervient ramène le débat à la situation interne de la corporation : «Vous critiquez la chancellerie alors que vous, vous n'avez rien fait. C'est à nous de nous en prendre et non pas aux autres.» D'autres intervenants exigent de l'Union une grève générale illimitée, alors que certains ont plutôt recommandé un boycott des audiences au niveau national, mais aussi de la cérémonie de l'ouverture de l'année judiciaire prévue la fin de la semaine en cours, afin de pousser les autorités à mettre à exécution les résolutions de l'assemblée générale d'octobre 2011. En fin de journée, la commission chargée de préparer les revendications a remis son exposé. L'assemblée générale a adopté plusieurs résolutions, parmi lesquelles le boycott (durant une semaine) des audiences des tribunaux et cours à partir du 2 décembre prochain, des cérémonies d'ouverture de l'année judiciaire au niveau national. Elle porte la responsabilité de l'absence de réponses aux revendications de la corporation depuis 13 mois au ministère de la Justice, décide de laisser la session ouverte en attendant les suites à donner aux résolutions, notamment le boycott. A signaler que seul le barreau d'Alger a émis des réserves concernant le projet de loi relatif à la profession d'avocat, du fait qu'il a demandé son retrait alors que l'AG a décidé de son maintien, mais en amendant les articles objets de contestation.