Mohamed Hazourli, réalisateur, est connu pour avoir fait le bonheur d'une large frange de téléspectateurs avec de belles productions pour la télévision inspirées du vécu des Algériens, dont l'humour et l'autodérision en ont toujours été le pivot, à l'exemple, entre autres, de la célèbre série culte Aâssab oua awthar, qui a duré plus d'un quart de siècle. Il nous livre ici son appréciation de la situation de l'audiovisuel en Algérie, et son devenir. - Parlez-nous de cette série culte «Aâssab wa awthar» que vous avez créée en 1976, et qui a longtemps fait le bonheur des téléspectateurs durant le Ramadhan; pourquoi a-t-elle disparu brusquement ?
Elle a tellement plu qu'elle a duré plus d'un quart de siècle (de 1976 à 2003). Puis je l'ai reprise en 2010 sous le nom de «Aâssab, wa awthar wa afkar», avec l'équipe El Belliri et certains anciens ; elle a été diffusée mais diminuée pour des contraintes de timing durant le Ramadhan, avec toutefois la promesse de sa rediffusion en totalité après le mois sacré. La promesse n'a pas été tenue. Je pense qu'elle dérange à partir du moment où j'y évoque les problèmes de l'artiste avec humour et dérision. Les Algériens ont tellement souffert, qu'ils ont appris à rire de leurs travers…donc c'est une censure bête et méchante. La censure peut prendre plusieurs formes ; si on ne vous donne pas les moyens de travailler, c'est aussi de la censure. La preuve, on n'a jamais censuré une œuvre vide, sans portée…la médiocrité n'est pas dangereuse…mais il faut espérer… j'ai une trentaine de numéros de Aâssab wa awthar wa afkar pour le Ramadhan prochain.
- Vous avez beaucoup de films à votre palmarès, et vous avez été plusieurs fois primé ?
Je me suis intéressé à tous les genres, mais c'est la comédie qui me plaît le plus ; elle a un impact spécial sur la société. Ceci dit, j'ai réalisé de longs métrages, dont «Eskhab» en 1973 (le collier), une histoire d'amour du terroir tirée d'une chanson ; Hizia en 1976, des films religieux, un documentaire fiction sur l'Emir Abdelkader, des séries, un autre film «Ali yeddi, Ali ma yeddich» dans le cadre de la manifestation «Alger, capitale de la culture arabe», qui a été primé en 2009 au festival des télévisions arabes à Tunis.
- Quel regard portez-vous aujourd'hui sur l'audiovisuel dans notre pays, et plus particulièrement la télévision ?
Au départ, quand la télévision avait démarré, l'espoir était grand par rapport aux potentialités des Algériens. Notre télévision était vraiment à l'avant-garde. Aujourd'hui, elle doit absolument se débarrasser de son complexe de télévision dirigée ; elle doit se libérer en se décentralisant. La station régionale de Constantine, par exemple, était présente avec 40% de la production nationale. Ce qui me tracasse, c'est qu'on était des précurseurs, on avait de grands techniciens, de remarquables directs de la photo, comme Youcef Sahraoui, Adel Noureddine, Merabtine, Lakehal…et il y en a encore, il faut aussi donner aux jeunes la chance d'apprendre sur terrain…Des pays moins nantis possèdent une pléthore de chaînes; ils ont conquis le monde avec de la pertinence. Il faut investir dans le culturel ; ce n'est pas une question de chaînes privées ou publiques, il faut que l'information soit continue, qu'il n'y ait pas de temps mort, et pas de censure. Il ne faut pas avoir peur de l'imagination, du talent, ni de la critique. Le peuple est mûr, il sait apprécier le produit intelligent, d'ailleurs qui n'a pas au moins 100 chaînes étrangères chez lui ? Pour que le public apprécie sa télévision, il faut qu'elle parle son langage, en tant qu'Algérien, ses spécificités culturelles dans tous les domaines, sans langue de bois. J'ai eu le bonheur de filmer partout et de constater que notre pays est fait pour le cinéma ; il faut un courage politique pour rendre le cinéma et la télévision aux professionnels, sans supervision ni contrôle. Nous avons aussi beaucoup de salles de cinéma, qu'attend-on pour les rouvrir et d'en confier la gestion à des professionnels, ou du moins à des cinéphiles ? La radio locale, quant à elle, a perdu ses meilleures émissions. Rappelez-vous «Cinérama», c'était une émission de classe, où même Al Akad y fut invité, où est-elle à présent ?
- Que pensez-vous des chaînes algériennes privées qui investissent en ce moment le champ audiovisuel ?
J'ai œuvré dès 1990, au plus fort du terrorisme, pour une télévision indépendante, pour des chaînes libres, pour qu'il y ait une instance qui les gère, comme le conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) dans les autres pays. Ce conseil sera managé par de vrais professionnels, et il n'en manque pas. Ceci dit, c'est tant mieux qu'il y ait d'autres chaînes, mais je ne sais pas comment elles sont gérées en l'absence de textes leur permettant d'exister légalement. On remarque qu'elles commencent à être confrontées à une dure réalité du fait qu'elles ont été lancées dans la précipitation ; il faut une banque de programmes car une chaîne c'est du produit en continu, en plus de l'info rapide, du scoop... Il faut qu'il y ait du direct car le direct c'est l'âme d'une télévision; il ne faut pas mettre uniquement le micro dans la rue ; une chaîne, il faut qu'elle ait du style.
- Y a-t-il, présentement, une production algérienne ?
Il y a une quarantaine de films qui ont pu émerger grâce à des manifestations comme «Tlemcen, capitale de la culture islamique», «Alger, capitale de la culture arabe», le cinquantenaire de l'Indépendance. Je prépare dans ce dernier cadre un film d'après un excellent scénario de Djamel-Eddine Merdaci. Nous essayons de lancer de nouveaux acteurs. C'est encourageant ; je pense qu'il ne faut jamais baisser les bras.