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«L'obligation de déclaration de soupçon devrait être élargie aux notaires et avocats» Abdenour Hibouche. Président de la Cellule de traitement du renseignement financier
- La Banque d'Algérie vient de publier un nouveau règlement sur la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Quels sont les principaux changements introduits par ce texte ? Le nouveau texte donne plus de pouvoirs à la Banque d'Algérie et aux banques de la place dans la mise en œuvre de leur devoir de vigilance et de surveillance de la clientèle. Il y a d'abord l'interdiction explicite d'ouverture de comptes numérotés ou anonymes. Il fallait le préciser pour mettre fin à toute équivoque. Il soumet également Algérie Poste au dispositif de lutte contre le blanchiment d'argent. Il s'agit aussi et surtout de se mettre aux normes internationales. Comme vous le savez, il existe des normes édictées par le Groupe d'action financière (GAFI). Les dernières normes dataient de 2009. Celles-ci ont été révisées en février 2012. Le nouveau règlement de la Banque d'Algérie a l'objectif de se mettre aux nouvelles normes vigueur. Que ce soient celles édictées par le GAFI ou encore par le comité de Bâle.
- Le FMI vient d'enjoindre l'Algérie d'améliorer le dispositif de lutte contre le blanchiment d'argent, tandis que le GAFI évoque des défaillances au niveau de ce même dispositif. De quelles failles s'agit-il exactement ?
En tant que membre fondateur du GAFI Moyen-Orient et Afrique du Nord (MOAN), l'Algérie a été évaluée par des experts de la région. Une mission d'évaluateurs a lancé ainsi ses travaux en 2009 et a remis ses conclusions en 2010. Les rédacteurs du rapport ont relevé un certain nombre d'insuffisances. Il s'agit en premier lieu d'insuffisances en lien avec l'organisation de la Cellule de traitement du renseignement financier (CTRF). Des lacunes qui ont depuis été prises en charge, d'autant plus que la CTRF vient d'être érigée en tant qu'autorité administrative indépendante. Aussi, un projet de décret exécutif est actuellement au niveau du secrétariat général du gouvernement pour consacrer le nouveau statut et l'organisation de la CTRF. Le second niveau concerne les mesures de vigilance au niveau des banques que les évaluateurs considéraient comme étant insuffisantes, d'autant plus que le règlement de la Banque d'Algérie, publié en 2005 pour prendre en charge cette question, n'avait pas d'ancrage juridique. Un problème qui a été pris en charge grâce à la loi de février 2012 sur la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, et le dernier règlement de la Banque d'Algérie de novembre 2012. Le dernier aspect concerne le financement du terrorisme, aspect pris en charge par l'ordonnance de février 2012. Il s'agit notamment de l'article 18 bis qui permet au président du tribunal de geler des fonds pour une durée d'un mois, à la demande de la CTRF, du procureur de la République ou des instances internationales habilitées. Sur le plan normatif, les textes et règlement édictés ont permis de préciser certaines choses et d'introduire de nouvelles notions. Restent quelques insuffisances qui ne dépendent pas de la seule CTRF, mais d'autres instances comme la Banque d'Algérie ou la justice.
- Parmi les nouvelles notions introduites par le corpus réglementaire, celle de «personnes politiquement exposées». Certains observateurs de la place y voient une réaction aux pressions internationales exercées, après que des membres du clan El Gueddafi se soient réfugiés en Algérie. Que pensez-vous de cette lecture ?
En tant que fonctionnaire, je peux vous assurer que l'évocation de cette notion n'a rien à voir avec tel ou tel évènement. La notion de «personne politiquement exposée» (PPE) est consacrée par le GAFI. L'ordonnance de février 2012 et le règlement de la Banque d'Algérie ont l'objectif de se mettre aux normes internationales, dont notamment le concept de «personnes politiquement exposées». Sont visées les personnes de nationalité étrangère et qui ont, selon la définition du GAFI, exercé un mandat électif, judiciaire ou exécutif.
- Le cas des El Gueddafi peut se poser actuellement. Est-ce qu'ils pourraient donc faire l'objet d'une surveillance accrue ?
Personnellement, je ne fais aucun lien avec telle ou telle personne. Je crois que c'est aux banques, à la justice et au gouvernement de donner suite à cette notion. En réalité, ce qui est demandé, dans le cadre de la surveillance des PPE, est qu'avant de se mettre en relation d'affaires avec ce genre de personnalité, le banquier est tenu d'en référer à sa hiérarchie. Cela part d'abord du principe de connaissance de la clientèle. Avec une personnalité de ce genre, le suivi de la relation d'affaires est juste particulier.
- En raison du caractère particulier du marché algérien – sous-bancarisé et où l'informel règne – La majorité des transactions, et plus encore lorsqu'il s'agit de blanchiment, échappent au circuit bancaire. Comment la CTRF peut-elle appréhender la situation ?
En Algérie comme dans beaucoup de pays africains, ce sont les espèces qui circulent le plus. A partir du moment où cet argent échappe aux banques, il ne peut y avoir de traçabilité. Je crois que les pouvoirs publics devront réglementer la circulation des espèces en dehors du circuit bancaire.
- Il existe des pistes pour débusquer les transactions douteuses. On sait, par exemple, que l'argent blanchi passe par le marché immobilier…
Actuellement, ce sont les banques et les assureurs qui sont tenus de faire des déclarations de soupçon. Or, comme c'est le cas de l'immobilier, ce n'est pas du ressort des banques mais de celui des notaires. On peut lutter efficacement contre le blanchiment d'argent en demandant aux notaires d'effectuer des déclarations de soupçon. Il y a d'autres professions libérales non financières comme les avocats, les huissiers de justice ou les commissaires aux comptes auxquels on pourrait aussi le demander. Autre élément important : les nouveaux textes ont élargi l'obligation de soumission des rapports établis à la CTRF, à l'Inspection générale des finances, à la direction générale du Trésor ainsi que les domaines.
- La CTRF dispose-t-elle des moyens nécessaires pour traiter les cas présentés ?
En l'état actuel des choses, la CTRF, qui fonctionne avec 25 agents, ne dispose pas des effectifs nécessaires. Je crois que durant l'année 2013, dans le plan d'action du gouvernement, un chapitre est consacré à la CTRF et on envisage de renforcer ses moyens.
- Sur les déclarations de soupçon adressées à la CTRF, combien ont été suivies d'une action en justice ?
Lorsqu'un dossier est jugé, après analyse, digne d'intérêt, il est immédiatement traité par la saisie, d'abord, de toutes les administrations concernées citées plus haut. Il est clair que des milliers de déclarations de soupçon ont été traitées par la CTRF, toutefois seules quelques-unes étaient fondées et ont été transmises à la justice. Ces deux dernières années, cinq dossiers ont été transmis à la justice. Ce qui prouve que le nombre important de déclarations de soupçon ne reflète pas un nombre réel et important d'affaires liées au blanchiment d'argent. Le rôle de la CTRF est justement de faire le tri dans les déclarations transmises par les banques. Lorsque le soupçon est fondé, le dossier est transmis à la justice. S'il ne l'est pas, le dossier est mis en attente pour une éventuelle exploitation future avec la survenue d'une nouvelle déclaration de soupçon ou d'une demande d'assistance nationale ou étrangère.