Intervenant au Crasc d'Oran avec une conférence intitulée «Passé et présent de la société targuie», Nadir Maârouf, professeur émérite à l'université de Picardie (France), sollicité en aparté, considère, pour le cas particulier du Mali, qu'«il n'y a pas de solution miracle, il faudrait réinventer un mode de cohabitation et mettre en place un nouveau mode de gouvernance qui tienne compte du rétablissement de la démocratie locale, d'une meilleure répartition des richesses et d'une concertation globale sur le traitement de la question territoriale». Les vastes étendues du Nord-Mali représentent les 3/5 du pays, mais ne concentrent que 10% de la population. Au cœur de la crise s'imbriquent, selon lui, les facteurs de la prédation (richesses minières), les rancœurs liées aux épisodes esclavagistes (Bambara, Haoussa, etc.) pratiqués dans le passé, mais aussi la nature du pouvoir malien et ses tendances mafieuses dont les victimes ne sont, par ailleurs, pas uniquement les Touareg. Sa sentence est qu'il faudra beaucoup de temps pour arriver à mettre en place un gouvernement malien transparent et respectueux des règles de bonne gouvernance. «Le problème touareg ne peut pas se régler à la hussarde», indique-t-il, faisant référence à l'intervention militaire. C'est en même temps pour marquer la différence avec la guerre contre «l'islamisme radical» ou le «djihadisme», des notions privilégiées et mises en avant par les dirigeants français qui ont pris l'initiative (soutenus par la communauté internationale) d'intervenir militairement au Mali. Pour le sociologue, le rapport des Touareg avec l'islamisme est artificiel. Les tensions entre cette population du Nord et le pouvoir central malien ne datent pas d'aujourd'hui et c'est en tenant compte de cette réalité, conjuguée à son analyse des structures sociales, qu'il écarte tout lien sérieux avec cette doctrine politique extrémiste. «C'est un islamisme de fortune» car, pour lui, les Touareg seraient prêts à s'allier avec le diable s'il le fallait en citant le cas des trafiquants, mais aussi de Mouammar El Gueddafi, lorsque ce dernier, aussi biscornu que cela ait pu paraître, avait proclamé l'idée d'une République sahraouie unifiée. L'ancien dirigeant libyen a pu ainsi enrôler nombre d'habitants du Grand Sud. Les Touareg occupent un territoire transfrontalier, mais les évolutions n'ont pas suivi le même rythme selon qu'on soit en Algérie, au Niger ou au Mali et des développements positifs ou négatifs ont jalonné l'histoire récente. Pour Nadir Maarouf, en Algérie le bouleversement remonte à la période de Ahmed Ben Bella qui avait proclamé, au lendemain de l'indépendance, «la terre à ceux qui la travaillent». Il en est résulté la destruction du mode de vie traditionnel remplacé par des modèles certes modernes (mécanisation, etc.) mais qui se sont avérés inefficaces à cause des problèmes bureaucratiques qu'on n'a pas pu résoudre. «Nous avons, dit-il, assisté à une conversion des populations locales qui se sont en partie sédentarisées et qui ont bénéficié, comme partout ailleurs en Algérie, de la politique d'assistanat (rente pétrolière).» Toujours pour le cas de l'Algérie, il considère que la scolarisation et les débouchés dans l'administration ont été à l'origine d'une mobilité sociale inédite en faveur des descendants des anciens esclaves, au grand dam des couches aristocratiques traditionnellement peu enclines au changement. A contrario, au Mali, les ressources sont moindres et, à l'ingérence – grâce à un pouvoir inféodé – des multinationales soucieuses de leurs propres intérêts s'ajoutent les grandes sécheresses. Dans la conférence qu'il a animée, Nadir Marouf a tenté de décortiquer les structures sociales des habitants de cette région et leur évolution. Une société hiérarchisée comme partout ailleurs dans le monde, mais il met en garde contre l'importation de modèles d'analyse préétablis qui pourraient s'avérer inopérants.