Celui qui n'a pas revisité cette vieille cité oasienne depuis 10 ou 15 ans, sera certainement frappé par cette exubérance urbaine qui ne sied pas au calme légendaire de la cité. Happé par un fol carrousel automobile, il ne pensera plus à admirer, comme jadis, les dunes ondulantes de oued Maïtar ou la palmeraie visible de loin. Les voraces pelleteuses ont eu raison du lit de l'oued et même du sable dunaire. Les chantiers du centre du pays, en manque de ce précieux matériau, s'approvisionnent ici même. Le béton, l'aluminium et les couleurs criantes ont fait le reste. Deux mondes parallèles se côtoient et ne se voient pas, le jeune conducteur aux lunettes fumées, kit à l'oreille et bras tendus sur le volant du 4/4 rutilant, et l'homme déguenillé poussant son baudet de colportage. Ancien centre culturel à rayonnement régional, la cité geint sous le dépit du lustre perdu. Le cours complémentaire de l'école coloniale, qui eut pour élève, entre autres, feu le futur président Boudiaf, suppléait celui du chef-lieu qui n'existait pas comme tel encore. Au lendemain de l'indépendance, l'Institut islamique, issu de la médersa libre, formait de pleines cohortes de jeunes venus d'horizons divers. Nous nous astreindrons, dans le propos, à évoquer quelques secteurs dont le déficit est si prégnant qu'il est du devoir de chacun et quelqu'en soit le niveau de responsabilité, de s'en inquiéter. Il faut convenir que même défigurée, l'agglomération est irréversiblement citadine et que par conséquent elle doit bénéficier, non pas du traitement réservé à une quelconque daïra rurale, mais bien plus que cela. Il s'agit en fait d'une ville dont la population dépasse de loin celle de certains chefs- lieux de wilaya, qu'ils soient du Nord ou du Sud. A ce titre et en comparaison avec les villes voisines dont la physionomie socio-économique a changé par le fait de leur statut administratif, elle marque le pas en dépit des sommes colossales que les différents plans de développement lui consacrent assurément. La problématique est certainement ailleurs. Les quelques volets que nous tenteront d'aborder sont, à notre sens, les plus ressentis mais pas forcément exprimés. Urbanisation et mobilier urbain Délestée de son caractère oasien, qui alliait bâti ancestral et bâti colonial, la cité est en passe de devenir hybride et sans caractère typique. Pendant que le vieux bâti est presque à l'abandon, dont l'inestimable patrimoine du ksar, le nouveau n'arrive pas à régénérer la ville pour une avantageuse substitution. La nouvelle ville aurait dû être à la jonction du nouveau et de l'ancien tissu urbain. Des unités d'habitat auraient pu être érigées dans des enclaves d'anciens quartiers avec le double avantage de densifier l'occupation et de bonifier l'urbanisation. On aurait pu, comme dans la vallée du M'Zab, préserver le style architectural par l'adaptation du nouveau bâti au contexte local. Nous ne forçons pas le trait en évoquant la vallée du M'Zab, quand on sait que Ghardaïa et Bou saâda ont des similitudes frappantes dans leur topographie et dans leur sociologie. Fleurons du tourisme oasien, elles ont perdu de manière inégale leurs attraits. Bou saâda, dépersonnalisée par le parpaing, gagnerait à être sauvée. Il y a lieu de citer, à titre illustratif, la différence criante entre les ksour de Ghardaïa et le quartier d'El Qaïssa, dont la construction en dégradé peut être esthétiquement améliorée par le mortier traditionnel et la chaux. L'on nous dira à juste titre, que le citoyen mozabite est traditionaliste par essence, le Bou Saâdi l'est aussi, mais des contingences ont fait qu'il passe son temps à ruminer une déception qu'il n'arrive toujours pas à transcender. L'harmonie jadis obtenue au moyen d'une architecture qui faisait épouser le bâti ocre avec son support topographique, est violemment agressée par des éléments modernes de construction. Les exemples les plus marquants sont la nouvelle gare routière et le syndicat d'initiative qui jurent pas leur vitrage, leur aluminium et l'incongrue couleur orange. Ils viennent d'être rejoints par la poste principale en «bleu et jaune» qui barbouille l'harmonie visuelle jusque-là obtenue par le champ de «Bordj Essaâ» (ex-Fort Cavaignac) et l'ancien hôpital colonial. Quant aux réservoirs d'eau de couleur bleue perchés sur des collines, cela fait déjà longtemps qu'ils parasitent le panorama. L'éclairage public, affublé au centre-ville par des points lumineux d'ambiance et excessivement chers, n'arrive pas à lutter contre la pénombre, ou peu. Pendant que la voie rapide Bou saâda-Eddis est profusément éclairée sur 14 kilomètres, des quartiers entiers sont mal éclairés. Il suffit pour cela de faire une incursion nocturne pour s'en rendre compte. Loin de nous l'idée d'une quelconque dénégation des efforts consentis depuis des décennies par les uns et les autres, mais il est du devoir de chacun d'évaluer à leur juste mesure les retombées aussi bien positives que négatives de tout acte de développement. L'évaluation sereine ne fera qu'aider les promoteurs à plus de pertinence dans leur démarche de planification. L'agglomération actuelle dont la population a été multipliée par 4 ou 5 depuis les années 1960, dépassant déjà les 150 000 âmes, étouffe sous le flot du parc roulant. Il n'existe en fin de compte qu'une seule rue à double voie où se déverse tout le trafic routier. Certains l'appellent avec ironie «le pantalon». Malgré son ancienneté, le quartier du 1er Novembre sur la rive droite de l'oued n'a bénéficié que de peu d'aménagements urbains, ou du moins d' intérêt soutenu des aménagistes. Appelé toujours «Dachra El Gueblia», il conserve jusqu'à l'heure actuelle son caractère semi-rural ou semi-urbain selon l'angle de vue. Il en est d'ailleurs de même pour les quartiers populaires de Sidi Slimane ou même ceux appelés pompeusement résidentiels, tels que Slimane Amirat, Chabani et bien d'autres. La nouvelle ville n'échappe pas à la règle, sous-équipée et pauvre en mobilier urbain, elle souffre d'une voierie dégradée, à telle enseigne que le sol chahuté prend ses droits. Sa construction en conurbation fera perdre, à brève échéance, le souffle aux VRD. Le creusement du réseau d'assainissement laisse toujours de profondes scarifications sur l'asphalte qui tardent à être reprises. Le seul aspect urbanistique que présente la ville se trouve, malheureusement, conservé par le quartier anciennement européen et c'est vexatoire. L'unique pont qui relie les deux rives de l'oued ne réussit pas à faire la jonction harmonieuse et continue entre les espaces urbains. Emporté par les flots, sa destruction a obligé les résidants à faire le détour par la route de Biskra pendant longtemps. La politique de la ville doit être, dans ce cas précis, volontariste et même téméraire. Elle devra tailler dans le vif quitte à recourir à l'expropriation. L'agglomération a besoin et plus que jamais d'un nouveau maillage de voies d'accès et d'évacuation. Les sites historiques partent inexorablement en ruine, il s'agit de la vieille Médina dont plusieurs tentatives de réhabilitation n'ont pas été concluantes, le fort du sinistre Cavaignac et sa muraille, la maison où a séjourné à la fin de sa vie El Emir El Hachemi et tout l'environnement du Musée national Nacereddine Dinet où il faut inclure la maison dans laquelle Si Mohamed Boudiaf a passé son adolescence pendant qu'il était au collège. En ce qui concerne les espaces de convivialité, à part le famélique square «El Wiam», il n'existe aucun parc où espace vert où les familles peuvent s'aérer pendant la canicule. L'unique place publique, poumon jadis de la ville et baptisée «place des Martyrs» pour avoir reçu les corps ensanglantés de 14 chahids pendant la Révolution, est livrée à la curée de l'informel. La rue de la République, anciennement rue principale pour ne pas citer le nom du capitaine colonial qui lui a donné son nom, est dans un piteux état. Encombrée par le stationnement bilatéral et les taxis clandestins, elle fait peine à voir par l'état de ses trottoirs et ses façades décrépies. L'entrée nord de la ville, qui en est la première façade exposée au regard du visiteur, est quelconque. On est happés de prime abord par la clientèle des 2 stations-service datant des années soixante et qui se trouvaient à l'époque bien loin des habitations. L'arrêt des bus et le marché déglingué participent à la cohue générale à qui, il faut ajouter le flux routier vers Biskra ou Alger. Le projet de contournement de la ville tarde à voir les jour. Les quelques plaques qui portent des dénominations de rue n'ont pas été refaites depuis leur installation première en 1962 ou 1963, elles deviennent difficilement lisibles. Plusieurs rues et ruelles n'ont jamais porté de nom malgré la longue liste de personnalités érudites et militantes que la cité a enfantées. Nous citerons, en prenant le risque d'en omettre beaucoup, Belkacem Hafnaoui, Brahim Markhouf, Ammar Chérif, Kaddour Benaïssa, Mohamed Khalifa dit Hadj Zerrouk, Khalil Kacimi, Aïssa Bisker, Ahmed Kirèche (Bendjeddou), Terfaya Abderrahmane, Benaïssa Belkacem, Ahmed Bisker de l'ex-Organisation spéciale (OS) de Belcourt, Abdelkader Amari, Abelkader Daloui, Abdelkader Amrane, Abdelkader Zelouf et enfin Salah Chouikh, membre fondateur de l'Etoile nord-africaine (ENA). équipements publics II est de notoriété publique que les organismes et autres institutions, au lieu de participer à l'amélioration du bâti par l'édification de leur propre siège, parasitent le parc immobilier communal et se complaisent dans des situations de dénuement avéré. C'est ainsi que la caisse générale de retraite (CGR) et celle des assurances des non salariés (CASNOS) occupent des cagibis indignes de ces institutions nationales. La Banque nationale d'Algérie (BNA) git dans un siège qui ferait honte à une quelconque institution, même caritativ.e. Il en est de même pour Sonelgaz dont la clientèle couvre 5 daïras. Il faut assister au rush de l'encaissement des redevances pour se faire une idée. Le pâté d'établissements publics qui prétend être le centre administratif et financier est un conglomérat de bâtisses aussi inesthétiques qu'inadaptées. Relativement récent, le siège de la commune ne semble plus être adapté à ses missions institutionnelles. Jouissant depuis l'époque coloniale d'une agence Air Algérie, la ville l'a définitivement perdue depuis 2005 et sans appel. En ce qui concerne le réseau postal, il n'existe que 5 bureaux de poste, RP comprise. Le ratio actuel ne peut être que de 1/30 000 habitants. Le siège de la daïra, même s'il bénéficie d'une convenable assiette, n'est pas mieux loti. La vieille construction jure par son anachronisme. D'ailleurs, son extension s'est faite au détriment d'un court de tennis que les plus de soixante ans ont fréquenté bien avant ceux de Biskra qui est devenue une grande école nationale depuis lors. Le projet du nouveau tribunal, annoncé à plusieurs reprises, semble faire du surplace à force. Transports publics Si l'on veut mesurer la déshérence d'une ville comme Bou saâda, il suffit de jeter un coup d'œil sur les transports urbains. Les quartiers périphériques les plus chanceux sont desservis par de vieilles guimbardes pétaradantes d'un autre âge. Quant au reste du tissu urbain, il subit le diktat des taximen et autres fraudeurs. De vieilles voitures particulières conduites par d'hirsutes individus assurent une mission de service public que l'Etat leur a, inexplicablement, abandonné. Heureux déjà qu'elles existent, car sans cela la marche à pied aurait été de rigueur. Nous avons appris, avec bonheur, que l'agglomération de In Salah (34 000 habitants) vient de bénéficier, récemment, d'une unité de transport public. Le plan de circulation qui existe probablement n'a certainement pas été réactualisé depuis fort longtemps ; la preuve en est administrée par l'embouteillage chronique du centre-ville. L'aérodrome d'Eddis, pour lequel a été consacré un substantiel budget, git sous un silence oppressant. Il aurait pu être destiné à un trafic par avions taxis, évitant ainsi à de grands malades et vieilles personnes les affres de la route. Aux dernières nouvelles, une future structure aéroportuaire est prévue pour le chef-lieu de wilaya, ce qui supposera la disqualification définitive de l'équipement actuel. Il connaîtra ainsi le même sort que l'aéroclub qui a formé avec bonheur des dizaines de jeunes dont certains sont devenus des pilotes de ligne. . Activités touristiques Hormis les hôtels Kerdada et Le Caïd, qui ont été avantageusement sauvés par le groupe El Djazaïr, la ville a perdu les hôtels Oasis, Le Sahara, Le Beauséjour, qui tombent presque en ruine. On ne peut pas dire honnêtement que les structures hôtelières aient évolué. L'involution est patente et personne ne pourra avancer le contraire. Si le site naturel est du seul ressort du divin, ses apprêts peuvent être de la seule volonté humaine. Les anciens se rappellent encore de cette vivacité touristique qui faisait le bonheur de tous, même si le mode en était artisanal. Il ne serait pas inopportun de susciter le tourisme familial chez des particuliers qui possèdent de grandes demeures inoccupées. Mais comme chacun sait, le tourisme ne peut s'accommoder du dénuement en prestations de services. Culture et loisirs Le marasme culturel qui imprègne certaines régions du pays est plus mortifère à Bou saâda, qui ne dispose d'aucune infrastructure culturelle digne de ce nom. La ville, qui disposait de deux salles de cinéma dans les années soixante, n'a plus rien. Elle vit dans le «souvenir» des fresques filmiques dont certaines ont été tournées sur les sites immédiats. La salle des fêtes communale, pour laquelle on projetait de généreux desseins, n'est qu'une salle inadaptée où on organise les événements du tout-venant. A part une ou deux maisons de jeunes, il n'existe pas d'espaces d'expression culturelle où l'on puisse pratiquer l'art dans ses multiples dimensions. Compte tenu de ses potentialités culturelles, la cité mérite largement une maison de la culture et plusieurs centres culturels de proximité. Le seul réalisé et excentré d'ailleurs ne peut remplir à lui seul cette mission. L'orchestre national symphonique qui a eu à se produire dans la cité à 3 reprises n'a trouvé comme lieu de production que l'auditorium du centre d'hôtellerie et de tourisme. Un théâtre de verdure peut à lui seul briser, pendant la saison estivale, la platitude chronique. La technologie offre, actuellement, des moyens peu onéreux et capables de divertir : Data show, écran géant, etc. Le CD, miracle technologique, a supplanté depuis longtemps les volumineux fonds documentaires et autres filmathèques. Ancienne place forte du hippisme, la cité a vécu avec amertume la disparition de son hippodrome qui ne lui a pas été restitué. Celui qu'on tente d'installer au niveau des vestiges d'un projet de stade abandonné ne semble apparemment n'être qu'un ludique champ de fantasia. Le musée du Djihad, inauguré en grande pompe il y a deux ou trois ans, garde encore ses portes closes. Espérons enfin que le projet de centre universitaire, décidé par la plus haute autorité du pays à la demande pressante de jeunes fédérés autour de l'objet, ne tarde pas à se concrétiser sur le terrain à l'effet d'atténuer un tant soit peu, les effets négatifs sur une population échaudée, plusieurs fois décontenancée par son exclusion des grands projets structurants. Les rail et l'autoroute continuent à éviter la cité. Voici, chers lecteurs et lectrices, quelques «ruminements»- d'un sexagénaire qui aspire à vivre quelque temps encore dans une cité qui a fait jadis le bonheur de voyageurs et de personnages illustres qui ont choisi d'y séjourner et d'y mourir. L'histoire condamnera, en juge impartial, tous ceux et celles qui n'ont pas su préserver et retransmettre un patrimoine matériel et immatériel, dont peu de cités peuvent s'enorgueillir.