Il y a de quoi de se poser des questions quand on entend le président de la République se plaindre et publiquement de ses ministres, de sa société civile et même de ses propres soutiens politiques que sont les partis composant l'alliance au pouvoir. Loin d'être de simples coups de gueule conjoncturels, l'ire présidentielle traduit sans doute une grosse frustration d'un homme dont l'ambition et l'engagement semblent sérieusement contrariés par la réalité du terrain. Tel un décapant aveu d'échec, les plaintes itératives du chef de l'Etat sont autant de salves envoyées à son entourage immédiat, coupable de ramer à contre-courant de sa politique. A commencer par le fameux « Vous m'avez menti » adressé sèchement à certains ministres lors de sa virée algéroise, la semaine dernière. Temmar, Benbouzid, Maghlaoui ont en effet été accusés crûment par Bouteflika de lui avoir maquillé l'état d'avancement des projets. « Ce n'est pas ce que vous m'aviez dit en Conseil des ministres ! », les a-t-il interpellés devant une grappe de reporters ébahis par la gravité du propos. Evidemment, la colère, du reste justifiée, du Président n'a pas été suivie comme on pouvait l'imaginer de mesures coercitives. Après avoir été lynché publiquement, nos honorables ministres ont repris normalement leurs activités en attendant la prochaine volée de bois. Les parrains politiques de ces ministres (les partis de l'alliance) n'ont pas non plus jugé utile de commenter la « sortie » du Président. Moins d'une semaine après, ces derniers en ont eu pour leur grade. Depuis Constantine, Abdelaziz Belkhadem et Bouguerra Soltani ont dû esquisser des sourires forcés devant le violent réquisitoire du Président qui les a personnellement ciblés. « Je préside un Conseil des ministres où il y a trois formations politiques. Il y a ici deux responsables et je vous le dis en face, les partis ne bougent qu'au moment des élections ! » Bouteflika a donc passé un vrai savon au tandem Belkhadem-Bouguerra et n'a pas raté Ouyahia qui n'était pas là. Ainsi, ce conglomérat politique, dont le seul modus vivendi qui les rassemble est l'allégeance à Bouteflika, n'est pas forcément dans les bonnes grâces du Président. Et pour cause, il leur reproche de ne rien faire pour expliquer à l'opinion les implications des lois votées et de ne s'intéresser qu'aux « élections ». Si Abdelaziz Bouteflika a fait preuve d'un courage levant le voile sur une réalité que tous les Algériens soupçonnaient, son propos n'en est pas moins choquant. Choquant en ce sens que le Président est finalement conscient des errements politiques de ses alliés, de l'incompétence de certains ministres et, plus grave encore, qu'on lui cache beaucoup de choses. Ses diatribes devraient donc être décodées comme des lamentations d'un Président seul qui n'aurait plus de soutien pour mener ses projets à bon port. A trois années de la présidentielle de 2009, Abdelaziz Bouteflika dresse aux Algériens un état des lieux piteux de leur pays, dont il préside les destinées depuis sept ans. « Il y a des retards énormes dans tous les secteurs ! » Cette déclaration franche et inquiète du chef de l'Etat renseigne au moins que le grand sommeil de son gouvernement ne date pas d'aujourd'hui. Et en choisissant de lyncher « en live » ses partisans, le président de la République voudrait certainement tenir le peuple algérien à témoin que son action est sabotée de l'intérieur. C'est également une façon subtile de se laver les mains devant les électeurs quand l'heure des comptes sonnera. Mais faut-il noter que cette façon de gérer la cité porte la marque déposée de Abdelaziz Bouteflika lui-même ? Pour cause, le chef de l'Etat qui incarne un pouvoir quasi personnel a imprimé au pays un style propre à lui de gérer les affaires. Détenant tous les leviers de commandes, et décidant de tout ce qui se fait en Algérie, le Président est seul comptable devant le peuple dans la mesure où même les ministres lui rendent compte personnellement via les auditions qu'il organise régulièrement. C'est dire que si échec il y a, c'est d'abord celui du Président lui-même qui n'a pas su juguler à temps le marasme ambiant de son gouvernement.