Le bras de fer qui oppose le ministère de la Santé aux six syndicats actuellement en grève se durcit. Les grévistes tiennent ce matin même un sit-in à l'entrée du ministère de la Santé, pendant que dans nos hôpitaux, la crise enfle. Les médecins sont débordés, les malades en détresse et les grévistes à bout de nerfs. Le service minimum, bien qu'assuré dans la plupart des structures, s'organise très mal. La grève dévoile plus que jamais la plaie béante qui gangrène nos hôpitaux. Le ministère de la Santé n'a pas manqué de dénoncer, dans un communiqué rendu public lundi dernier, «cette grogne sociale» injustifiée, à son sens. Les syndicats, de leur côté, accusent le ministère de «désinformation et de politique de fuite en avant». «Le ministre n'a pas respecté ses engagements et n'a pas répondu à nos revendications», explique le docteur Yousfi, président du Syndicat national des praticiens spécialistes de la santé publique (SNPSSP) et membre de l'Intersyndicale de la santé. Et d'ajouter : «C'est la tutelle qui tient le malade en otage, alors que nous nous battons pour un meilleur système de santé.» Dialogue de sourds. Pendant ce temps, le malade est plus que jamais en détresse. «J'attends mon tour, j'ai trop mal pour rester debout, ils ne savent pas encore ce que j'ai.» Selma, la trentaine entamée, arrange précipitamment le foulard qui lui cerne le visage avant de replaquer au plus vite ses deux mains sur le ventre. «J'ai mal et je suis épuisée», ajoute-t-elle d'une voix presque inaudible. Assise en tailleur, elle occupe ce petit coin du pavillon des urgences vitales et médicochirurgicales du CHU Mustapha Pacha, depuis trois heures déjà. Elle est loin d'être la seule dans ce cas. La grève dévoile les défaillances Dans le hall d'entrée, d'autres malades attendent. A chacun son petit coin. A quelques mètres, une vieille femme dort sur un brancard, comme oubliée. Autour, les visiteurs entrent et sortent, les malades vont et viennent, les agents de sécurité, les médecins, les infirmiers (il y en a si peu) sont dépassés. Le service tourne au ralenti. «Il ne faut pas s'étonner. C'est comme ça toute l'année !», lâche une infirmière en grève sur le point de rejoindre la chambre de garde. «La grève en rajoute certes, mais c'est comme ça toute l'année. On assure le service minimum comme on peut», insiste-t-elle. L'attente, l'improvisation et la prise en charge approximative font le quotidien de nos hôpitaux. Avec la grève illimitée des paramédicaux, la grève cyclique des corps communs (agents d'administration, agents de nettoyage et de sécurité…), ajoutée depuis trois jours à celle des médecins généralistes, spécialistes, dentistes, pharmaciens, psychologues et enseignants paramédicaux, les services de santé s'enlisent dans la crise. Opérations chirurgicales reportées, refus d'admission et consultations suspendues. Seuls les admissions dans les urgences et le suivi des malades déjà hospitalisés sont assurés. CHU Beni Messous. Près de 1000 employés des corps communs sur les 2225 que compte l'hôpital sont en grève. Les médecins généralistes ont suspendu leurs consultations et les paramédicaux s'en tiennent au strict minimum. Alors que certains services sont quasi déserts, le pavillon des urgences est gagné par l'anarchie. Les va-et-vient sont incessants, les médecins de garde sont vite débordés. Dehors, l'ambiance est à la contestation. Des blouses blanches rassemblés par dizaines dans les jardins, des banderoles accrochées sur les clôtures, des slogans scandés en chœur pendant que les allers et venues se poursuivent à l'entrée de l'hôpital. «Le ministère nous fait marcher depuis des années, il y va de notre dignité !», s'insurge un médecin entre deux slogans scandés à tue-tête. «Honte au ministère sans décision !» A quelques mètres, un visiteur s'offusque : «Y en a marre de ces grèves cycliques, et il n'y a même pas de service minimum sérieux !» Le médecin se défend : «Le service minimum est assuré, ce n'est pas de notre faute si ce système est défaillant et que le manque de moyens s'aggrave.» Tous les regards sont braqués sur le personnel hospitalier depuis le début de cette grève généralisée, les failles de notre système de santé deviennent plus flagrantes. Pour le Dr Yousfi, si la situation atteint un point alarmant, il y va de la responsabilité du ministère de la Santé. «Pour la première fois depuis que notre syndicat a été créé, il n'y a pas eu de réunion de concertation avec la tutelle après le dépôt de notre préavis de grève», explique-t-il. Aucune réunion n'a donc eu lieu pour organiser le service minimum tel que le prévoit la loi. Mais le président du SNPSSP tient à préciser : «La tutelle n'a jamais organisé le service minimum, c'est nous qui l'improvisons à chaque grève par acquis de conscience.» L'improvisation atteint son comble. Le ministère accuse les syndicalistes «de pénaliser le citoyen». Ces derniers répondent qu'ils se battent justement «pour défendre les droits des citoyens pour une meilleure santé publique». Les malades, eux, attendent.