Responsables de syndicats autonomes, hommes politiques, anciens ministres, acteurs associatifs et militants des droits de l'homme ont fait, durant deux jours, le procès du pouvoir algérien coupable d'avoir asphyxié les libertés et les droits socioéconomiques. Sous la bannière de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme (LADDH) et la collaboration de la fondation allemande Friedrich Ebert, une conférence nationale a réuni depuis jeudi jusqu'à hier les porte-voix de la protesta économique et sociale en Algérie. A commencer par l'ex-ministre du Commerce sous le gouvernement Hamrouche, Smaïl Goumeziane, qui a subjugué les participants par ses analyses pertinentes sur la mondialisation et démonté l'argumentaire du pouvoir par rapport à ses choix économiques et leurs implications sociales. Ne s'étant pas limité à son exposé de haute facture intellectuelle sur les nouveaux systèmes de régulation à l'ombre de la mondialisation, Smaïl Goumeziane qui a été écouté dans un silence de cathédrale surfera sur toutes les incohérences, les non-dits et l'arbitraire de la politique économique et sociale avec comme point d'orgue le verrouillage politique. « En dehors des hydrocarbures, la situation économique du pays est catastrophique ! », assène-t-il donnant ainsi le la à un réquisitoire en bonne et due forme contre le pouvoir en place. Pour lui, la hausse des cours du pétrole a eu le mérite de lever le voile sur « l'absence de politique économique » et d'insister qu'il ne saurait y avoir de développement économique si les libertés sociales et syndicales sont matées. Il faut qu'on arrive à ce compromis historique. Cet éminent économiste pense évidemment que l'Algérie est loin du compte. Pas plus que Me Ali Meziane, avocat des syndicats autonomes, qui a passé en revue les nombreuses atteintes aux droits syndicaux souvent « en violation de la loi ». L'avocat affirme que la loi 90-14, relative à l'exercice du droit syndical est « réduite à sa plus simple expression ». Il en veut pour preuve sa modification en 1997 de sorte que les syndicats autonomes ne puissent pas se constituer « en fédération ou en confédération ». Me Ali Meziane n'y va pas par quatre chemins pour conclure : « Le pouvoir veut émietter les syndicats pour les casser. » La justice est d'après lui l'instrument idéal pour mettre au pas « ces brebis galeuses » que sont les syndicats autonomes. « Récemment, des officiers du syndicat des marins (SNOMAR) ont été condamnés par la justice sous prétexte qu'ils n'auraient pas respecté le délai du préavis de grève d'un mois. Or ce délai ne concerne que le syndicat UGTA et n'est donc pas imposable au SNOMAR qui, légalement, a le droit de déposer son préavis de huit jours. » Par cet exemple, l'avocat voulait mettre en relief l'arbitraire qui frappe les syndicats autonomes et montrer comment le pouvoir utilise la justice « pour briser les mouvements de protestation ». Son confrère Nouredine Ahmine parle justement de ces « barrages » que constitue selon lui la justice et le chantage à l'agrément dressés par le pouvoir contre les syndicats autonomes. Ironique, Me Bouchachi désigne l'APN, censée être une voie de recours, comme un « faux barrage ». L'agrément : « un faux barrage ! » Me Zehounane, président de la LADDH, boucle la boucle en lâchant que « les magistrats donnent une triste mine de la justice algérienne ! » Redouane Osmane du CLA, Nouar Larbi du CNAPEST et Ali Hadj El Jilali du SNBAPAP se sont succédé à la tribune pour évoquer leurs mésaventures avec l'administration, leurs démêlés avec la justice et l'arbitraire des autorités qui s'entêtent à leur refuser des agréments au mépris des lois et au grand dam de leurs nombreux adhérents. Bien qu'ils subissent des pressions terribles (contrôle judiciaire, suspension de fonction, saisie de passeport...), les autonomistes ne comptent pas courber l'échine pour autant. « Il faut organiser la résistance sociale avec les partis politiques qui doivent porter notre discours revendicatif pour imposer le changement. » Cette déclaration du porte-parole du CLA résume parfaitement les recommandations de cette conférence qui a posé les jalons d'un forum des libertés sociales algérien auquel a appelé Ahmed Djeddaï du FFS, appuyé par Ali Yahia Abdenour.