Très juteux, le marché du téléphone portable a connu une évolution assez remarquable ces trois dernières années. En l'absence de tout contrôle et de régulation, il a fini par être phagocyté par l'informel, désormais touchant y compris les puces. Cette situation ne cesse de prendre de l'ampleur et ce ne sont certainement pas les mesures timides des trois opérateurs de téléphonie mobile qui vont mettre un terme à ce trafic. Les nombreux distributeurs existants sur le marché ont tous reconnu que la contrebande de téléphone portable et maintenant de la puce est en train de porter de sérieux coups à leur commerce. Ils expliquent que les filières de Zouia, qui ramènent les mobiles de la frontière marocaine, ou encore « shab el cabas » (ceux qui font rentrer les portables volés en Europe par les aéroports) et enfin les réseaux du Sud-Est asiatique et des pays du Golfe ont inondé le marché avec des produits qui coûtent souvent le tiers du prix affiché par les distributeurs officiels. En effet, un petit tour aux boutiques d'El Mohamadia, d'El Harrach, ou encore dans les étals informels de Bab El Oued, le plus cher des mobiles ne dépasse pas les 10 000 DA, alors qu'en vitrine son prix oscille entre 25 000 et 30 000 DA. Une situation qui n'arrange pas tellement les concessionnaires. Bon nombre d'entre eux n'ont accepté de faire état du dysfonctionnement du marché des mobiles que sous le couvert de l'anonymat. Ils ont dénoncé l'absence totale du contrôle de l'Etat sur le terrain en pointant le doigt surtout vers les services des impôts et du commerce. Un distributeur d'une marque allemande a affirmé que « sur un total de 3,2 millions de portables vendus en 2005, 600 000 proviennent de la contrebande. Certains distributeurs ont une grande part de responsabilité dans ces pratiques frauduleuses. L'absence de contrôle du fisc et du commerce a fait que des distributeurs optent pour le gain rapide et facile en remettant leurs produits à des grossistes, souvent des prête-noms exerçant parfois sans registre du commerce. Ces derniers ne respectent aucune loi et agissent en toute liberté ». Pour un autre intervenant, le marché est « totalement biaisé » par certains distributeurs, notamment ceux qui ont réussi à avoir le monopole du marché, du fait de leur position privilégiée par l'un des opérateurs de la téléphonie mobile. « Sur une quinzaine de distributeurs qui se sont partagés un marché de 3,5 millions de portables en 2005, à lui seul près d'un million d'appareils, alors que ses moyens et capacités de distribution sont limités », a noté notre interlocuteur. Une situation qui, d'après lui, est en contradiction avec les règles du marché. « Ce distributeur, du fait de ses relations commerciales avec un des opérateurs de la téléphonie mobile, est en train d'accaparer une grande partie du marché des mobiles. Ce qui est déloyal par rapport aux règles de la concurrence », a-t-il précisé. Pour ce qui est du marché des puces Allo, Star et Mobilight, aucune explication n'a été donnée pour justifier la vente informelle de ces produits à des prix bas. M. Gaceb, directeur général de l'Autorité de régulation des postes et télécommunications (ARPT), a déclaré avoir saisi à deux reprises les trois opérateurs de la téléphonie mobile sur ce phénomène de la vente à l'étalage des puces. « Il y a un cahier des charges que les opérateurs sont tenus de respecter. L'identification des usagers est obligatoire. Nous avons mis en garde contre cette pratique. Si elle persiste, nous prendrons les mesures nécessaires à l'égard des opérateurs défaillants. » Un contrôle qui échape aux opérateurs Le responsable a expliqué que le problème se situe au niveau des points de vente, contrôlés en général par les distributeurs, lesquels à leur tour sont liés par des cahiers des charges aux opérateurs de téléphonie. « Il est vrai que l'opérateur n'a aucun contrôle sur le point de vente, néanmoins il peut obliger son distributeur à être plus vigilant et moins conciliant avec ce dernier. Certains opérateurs comme Wataniya, par exemple, ont offert des bonus aux distributeurs qui arrivent à lui faire remonter le maximum d'identification, c'est-à-dire les contrats d'achat des puces. Mais cela n'a pas empêché le trafic », a noté le responsable. Contactés, les responsables de Wataniya ont refusé de s'exprimer sur le sujet, en dépit de nos nombreuses sollicitations par le biais du chargé de la communication. Gharbi Salim, directeur de la vente au niveau d'Orascom Télécom Algérie (OTA), a, quant à lui, expliqué que l'opérateur n'a pas de relation avec les points de vente. « Nos interlocuteurs sont les distributeurs agréés. Ils sont soumis à un cahier des charges et toute violation des clauses de ce dernier implique automatiquement des sanctions. Nous avons déjà résilié notre contrat avec un distributeur parce qu'il n'a pas respecté le cahier des charges. Nous avons toujours attiré l'attention de nos distributeurs sur la nécessité de faire remonter les contrats d'achat des puces », a déclaré le responsable. Il n'a cependant pas pu déterminer le pourcentage des puces vendues sans contrats, estimant néanmoins que ce chiffre avoisine les 5% de toutes les ventes. Il a expliqué, par ailleurs, que le puces cédées en dehors des points de vente sont généralement celles contenues dans les packs Lahbab mis sur le marché pour booster les ventes. « Nous nous sommes rendu compte qu'effectivement certains points de vente, nous en avons plus de 6700 répartis dans les 48 wilayas, ouvrent le pack Lahbab et vendent séparément la puce d'activation avec un crédit permettant un seul appel, et une autre carte de recharge. Le prix du pack est de 3550 DA et comprend un téléphone Nokia 1100 et une puce d'activation d'un numéro, et une recharge. Un prix attractif qui a poussé certains à se faire de l'argent », a noté notre interlocuteur. Ce dernier a rappelé que cette pratique est tout à fait prévisible, comme cela a été le cas pour les téléphones portables. Le marché informel prend de l'ampleur « Vous avez remarqué que pour les appareils, nous sommes passés d'un marché à 100% informel en 2001, à un autre où l'informel ne représente qu'un taux compris entre 10% et 15%. Mais nous pensons que les services du commerce sont les seuls habilités à intervenir pour mettre un terme à ce genre de pratiques que ce soit pour les appareils et les accessoires qui se vendent sur les étals, ou pour les puces. » M. Benharrat, directeur du marketing et de la communication au niveau de Mobilis, a lui aussi reconnu la difficulté de ces distributeurs à faire remonter les contrats de vente des puces. « Nous avons des cahiers des charges qui nous lient aux distributeurs, lesquels ont des relations directes avec les points de vente. Nous avons même prévu une commission pour ceux qui remontent le plus grand nombre de contrats. Nous nous sommes trouvés devant une situation un peu délicate. Avec une seule carte d'identité, le buraliste affecte plusieurs numéros », a noté le responsable. Pour y faire face, il a affirmé avoir lancé en 2006 un nouveau service de contrôleurs et d'animateurs chargés de contrôler les distributeurs et de veiller à ce que la traçabilité de la ligne soit possible. M. Benharrat a reconnu que des puces Mobilight ont été mises sur le marché informel tout en notant que des mises en garde ont été adressées par ses services aux distributeurs de Mobilis leur rappelant leurs obligations vis-à-vis de l'opérateur. « Nous avons même prévu des pénalités contre ceux qui sont défaillants. Cela a été le cas d'ailleurs pour ceux qui n'ont pas respecté les clauses du cahier des charges. Nous sommes en train de mettre en place tout un dispositif qui nous permet de reconstituer la banque de données sur les abonnés et d'avoir ainsi la traçabilité des puces. Nous n'avons aucun contrôle sur les points de vente, qui eux relèvent des distributeurs. » Les différentes interventions des responsables contactés se rejoignent pour interpeller les services du commerce sur le phénomène de la contrebande de mobiles et de puces. Pour les opérateurs de téléphonie, il n'est pas question d'être à l'encontre des intérêts des distributeurs et faire comme ce qui se passe ailleurs, c'est-à-dire offrir aux usagers le mobile et la puce en même temps. « Ailleurs, le marché est complètement saturé, ce qui a poussé les opérateurs à innover en offrant l'appareil à un prix symbolique. Ce qui ne peut être le cas en Algérie. Le marché commence à peine de se créer. C'est une option envisageable, mais pas pour l'instant », ont déclaré les deux responsables commerciaux de Mobilis et de Djezzy.