L'exiguïté et l'insalubrité des lieux sont repoussantes. C'est dans un minuscule bureau de deux mètres carrés, comme tous ceux réservés au personnel paramédical, que nous avons rencontré des sages-femmes en service, durant leur seul moment de répit d'une journée harassante. Le dernier procès de deux collègues exerçant au même service a littéralement sapé le moral des « blouses roses » qui en ont gros sur le cœur. Deux mois de prison avec sursis et 2000 DA d'amende confirmés par la chambre pénale de la cour de Constantine à l'encontre d'une gynécologue et d'une sage-femme suite à une plainte pour négligence médicale qui remonte au mois d'août 2000. Un procès qui fait suite à tant d'autres dont le plus retentissant aura été celui pour lequel toute une équipe de la maternité du CHU fut présentée devant le parquet du tribunal de Ziadia pour une situation similaire. « Ça nous choque de voir nos collègues appelées à la barre. Désormais, la peur d'être poursuivie en justice sera le nouveau risque de la profession. Une situation qui pèse lourdement sur un personnel exerçant dans un stress intenable », lance une sage-femme, qui avoue n'avoir jamais vécu pareille situation durant 24 ans de carrière. « Depuis l'année 2000, le risque d'être poursuivie en justice ou convoquée au commissariat est vivement appréhendé surtout qu'au moindre incident on cherche automatiquement le nom de la sage-femme dans le dossier de la patiente ; on est la première cible des gens », poursuit une autre. On apprend par exemple qu'une sage-femme a été priée de se présenter devant le commissaire de police pour s'expliquer sur un fait lié aux suites d'une intervention chirurgicale. « En fait, je n'ai fait que recueillir le bébé, et je n'avais aucun lien avec les complications survenues à la patiente », dira la sage-femme concernée. Dans la journée du 5 avril 2006, c'est toute une équipe qui a été réquisitionnée, nous affirme-t-on, pour un sac perdu par une patiente puis retrouvé dans une armoire. Pour les sages-femmes, tous les gens s'ingèrent dans leur travail, alors qu'elles ne se trouvent pas elles-mêmes épargnées des menaces, des agressions verbales et physiques. « Dans la majorité des cas , la femme enceinte considérée à tort comme une malade n'est pas sérieusement suivie durant sa grossesse, pis elle n'est pas préparée à l'accouchement et c'est là que commencent les problèmes avec ses proches qui ne facilitent pas souvent la tâche à l'équipe médicale. » La maternité du CHU Ben Badis de Constantine présente aussi la particularité d'être la destination de toutes les évacuations des différents secteurs sanitaires de toutes les wilayas de l'Est algérien. Une suractivité qui met à rude épreuve les nerfs d'un effectif réduit et dépassé. « Nous assistons dans le meilleur des cas à 800 naissances par mois alors qu'on dépasse facilement la barre de 1100 naissances par mois en été pour trois sages-femmes par garde, soit près d'une quarantaine d'auscultations par jour pour un effectif de cinq médecins gynécologues », affirment des sages-femmes qui se disent scandalisées par la situation des femmes enceintes en état critique évacuées des petites villes de l'Est algérien lointaines de plus de 200 km mais aussi depuis les hôpitaux de Sétif, Jijel et Batna. Des hôpitaux d'envergure sans gynécologues ni anesthésistes. « Les femmes évacuées à la maternité du CHU de Constantine présentent pour nous de sérieux problèmes, surtout si on ne sait rien sur leur état de santé ni sur leurs antécédents, sachant que certaines femmes ne révèlent pas leurs pathologies et autres maladies considérées taboues, ce qui complique plus leur traitement ». Les risques de contagion durant l'exercice de leur fonction ne semble guère décourager les sages-femmes autant que les conditions de travail archaïques. On continue en 2006 de faire usage du très vieux stéthoscope obstétrical pour entendre les bruits du cœur du bébé au lieu du cardiotocographe recommandé dans les maternités. En célébrant, aujourd'hui (dimanche), leur Journée mondiale, les sages-femmes espèrent surtout avoir connaissance de leurs droits et bénéficier d'une formation continue mais aussi avoir les moyens adéquats pour exercer leur métier en toute sécurité.