Le refus opposé par l'ancien président de la République, Liamine Zeroual, à la demande itérative de centaines de jeunes, essentiellement enfants de chouhada, venus de toutes les régions du pays pour le convaincre de briguer un nouveau mandat en 2014, n'a pu que décevoir les millions d'Algériens qui ont encore foi en lui et qui savent, de science certaine, qu'il n'existe pas, dans toute l'Algérie, un homme politique plus honnête, plus probe et plus attaché à l'intérêt national que Liamine Zeroual. L'ancien Président a exposé les raisons de son refus et chacun doit s'incliner devant son choix. La lucidité exemplaire du président Liamine Zeroual Déjà, en janvier 2009, il avait opposé une catégorique, mais très courtoise, fin de non-recevoir à celles et ceux (dont l'auteur de ces lignes) qui le conjuraient de revenir aux affaires, afin de remettre le pays sur pied. Il avait alors estimé que les hommes providentiels ne pouvaient guère changer le destin de l'Algérie et sans le dire expressément, que la situation était suffisamment grave et complexe pour requérir des solutions autrement plus radicales que la seule accession au pouvoir suprême d'un homme, fût-il d'exception. Sans doute avait-il raison. Si Liamine Zeroual n'a pas voulu se présenter au scrutin d'avril 2009, qu'il aurait largement remporté dès le premier tour, les raisons de ne pas vouloir reprendre du service en avril 2014 sont encore plus irrépressibles. Ici, l'auteur s'exprime à titre tout à fait personnel et assure le lecteur qu'il n'a pas rencontré l'ancien chef de l'Etat ni ces jours-ci ni même avant. En cinq ans, l'état du pays s'est considérablement dégradé dans tous les domaines : école, santé, justice, crime organisé et grand banditisme, industrie et agriculture, environnement, perte de souveraineté nationale, etc. Pour redresser la situation du pays, Liamine Zeroual aurait besoin d'une armée de quelque 100 000 hauts fonctionnaires de l'Etat, insoupçonnables, incorruptibles et obsédés par le seul service de l'Etat. Où les trouver ? Qui aura vocation à les rassembler ? De quelle marge de manœuvre disposeront-ils par rapport aux clans, factions, groupes de pression et autres coteries qui ont investi des pans entiers de l'appareil d'Etat. Dirige-t-on un pays avec efficacité depuis le palais d'El Mouradia en s'appuyant sur une vingtaine de collaborateurs, fussent-ils tous de la plus parfaite loyauté ? Si le président de la République ne procède pas lui-même à la désignation sur la base de critères objectifs, préalablement définis, exempts de toute coloration partisane, clanique, clientéliste ou népotique les ministres, les responsables des services de sécurité, les ambassadeurs, les walis, les patrons d'entreprise et de banques publiques, il n'a que faire d'une Constitution qui lui attribue formellement des prérogatives qu'il est mis dans l'impossibilité quasiment absolue d'exercer. Ce qui est attendu du président de la République dans le cadre du fonctionnement du pluralisme, c'est qu'il respecte scrupuleusement le principe de la séparation des pouvoirs, qu'il garantisse l'indépendance de la magistrature et qu'il renforce les prérogatives du Parlement, pour autant que celui-ci ait été élu démocratiquement, ce qui ne s'est jamais passé une seule fois depuis l'indépendance. Si le président de la République est en permanence court-circuité par des officines, groupes de pression agissant le plus souvent dans l'ombre, constitués d'individus politiquement et pénalement irresponsables, car jouissant de l'impunité (lorsque des centaines de lampistes trinquent pour les délits commis par leurs supérieurs), un tel Président ne peut que gérer le statu quo, en attendant qu'il devienne intenable. Le président Zeroual a eu tout le loisir entre 1994 et 1999 de mesurer l'étroite latitude dont il a pu disposer pour faire cesser le terrorisme et poursuivre les réformes de structures engagées à partir de 1990. Il était porteur d'une vision à long terme et d'une stratégie de rupture (exposée dans son discours historique du 30 octobre 1994) avec l'Etat rentier clientéliste et son élite compradore dont les prodromes avaient été semés par les mentors de Chadli Bendjedid (à leur tête Larbi Belkheir, un des principaux fossoyeurs de l'Etat algérien, mandaté pour ce faire par les services secrets français et non bien évidemment par l'Etat français, partenaire et même ami de notre pays, alors qu'il était encore sous-officier de l'armée coloniale et ce, au même titre que le colonel Chabou et bien d'autres). Tout le monde sait que Liamine Zeroual avait déjà choisi le profil des hommes et des femmes auxquels il entendait confier des responsabilités éminentes à la seule fin d'extirper l'Algérie de la nasse du sous-développement et de construire un Etat indépendant. Aucune des personnes pressenties pour assumer ces hautes fonctions ne possédait une nationalité étrangère, fût-elle celle d'un pays arabe. Du reste, tous les pays du monde se conforment à cette loi d'airain. Seule, l'Algérie, celle pour le salut de laquelle sont morts Abane et Ben M'hidi, semble vouloir y déroger depuis 1999. Liamine Zeroual n'est pas préposé à la purification des hommes et des choses Le refus réfléchi et longuement médité de Liamine Zeroual de revenir aux affaires, bien qu'il constitue, à beaucoup d'égards, un crève-cœur par toutes celles et ceux qui ont une profonde admiration pour l'homme d'Etat qu'il est, est parfaitement légitime au regard de toutes ces considérations.Mais plus fondamentalement, Liamine Zeroual n'a pas vocation à venir éteindre un incendie provoqué par un tel et que tels autres ont laissé se propager en parfaite connaissance des destructions qu'il allait causer. Le président Zeroual n'est pas chargé par on ne sait quel décret de la providence de venir nettoyer les écuries d'Augias. Il n'est pas le viatique ultime lorsque tout tombe en déshérence et que le pays entier menace de partir en charpie (il en prend chaque jour un peu plus le chemin, en dépit des cris d'orfraie poussés par les mêmes marchands d'illusions). En juillet 1993, Liamine Zeroual accepte le poste de ministre de la Défense en pleine tourmente terroriste. En janvier 1994, devant la dérobade prévisible et inscrite dans la logique intime du parcours d'aventurier de son successeur, il consent à prendre la direction d'un pays dont les plus éminents observateurs anticipaient déjà la chute. Le 16 novembre 1995, il devient président de la République, à l'issue d'un scrutin exempt de toute fraude, mais sans hélas que le terrorisme soit encore vaincu. En septembre 1998, onze mois après l'accord scellé entre l'ANP et l'AIS et alors que la violence s'étiole progressivement (à l'exception des massacres de populations civiles dont personne ne sait à ce jour, quel fut leur crime), ceux-là mêmes qu'il n'avait eu de cesse de protéger en endossant l'intégralité de la répression contre le terrorisme, le dirigent lentement mais sûrement vers la sortie, non pas au profit d'une personnalité issue de la jeune génération et immune de toute compromission avec les errements passés mais d'une personnalité s'étant éhontément tenue à l'écart de la «tragédie nationale» et dont la seule motivation était de provoquer la descente de l'Algérie aux enfers, comme si l'ancien ministre des Affaires étrangères de Houari Boumediène (lequel devait pour la petite histoire le débarquer de ce poste en 1978 au profit du docteur Ahmed Taleb Ibrahimi, auquel il est loisible de confirmer ce fait) avait des comptes personnels à régler avec 30 millions d'Algériens. En 14 ans, le résultat a été atteint au-delà de toute espérance. L'emblématique solitude du président Zeroual Lorsque Liamine Zeroual s'est retiré dans la dignité et l'honneur, en septembre 1998, poussant le sacerdoce jusqu'à accepter l'allongement de la période de vacance du pouvoir présidentiel à avril 1999, administrant une nouvelle fois la preuve de son attachement viscéral au fonctionnement des institutions, quoiqu'il puisse lui en coûter, il ne s'est trouvé aucun groupe de thuriféraires zélés pour proposer de signer une pétition, afin qu'il aille jusqu'au bout de son mandat (il est vrai que la veulerie et la couardise ont toujours été l'apanage des élites au pouvoir dans ce pays, quelle que soit la période de l'histoire à laquelle on veuille se référer). L'Algérie était pourtant engagée dans un processus vertueux de réconciliation nationale, dont les linéaments avaient été posés par le président Zeroual lui-même, en 1995, avec les lois sur la rahma dont il a été le concepteur exclusif. Faire pression, à ce moment-là, sur Liamine Zeroual pour qu'il jette l'éponge était un non-sens politique absolu. Personne ne s'est ému que le premier Président d'un Etat arabe et musulman à avoir accédé démocratiquement à la magistrature suprême fut contraint de se retirer, sans même avoir pu aller jusqu'au bout de son mandat, alors que la Constitution du 28 novembre 1996 lui permettait d'en solliciter un deuxième. Quoi de plus iconoclaste que cette entorse aux lois fondamentales d'un pouvoir se prétendant démocratique ? En 51 ans d'indépendance, deux scrutins seulement se sont déroulés sans fraude : le 1er tour des législatives du 27 décembre 1991 et l'élection présidentielle du 16 novembre 1995. Tous les autres, sans exception, ont été l'occasion de trucages massifs, ceux de 2004, 2007, 2009 et 2012 ayant battu tous les records de mystification et d'imposture. Il est un peu trop facile, aujourd'hui, à certains inconditionnels des puissants du moment (je pense à quelques apparatchiks politiquement invertébrés, tel l'ancien chef du gouvernement, Réda Malek, partisan de l'éradication de l'islamisme et qui doit en être aujourd'hui pour ses frais avec la réislamisation semble-t-il irréversible de la société algérienne) d'aller chercher le premier élève de la classe pour l'exhorter à reprendre du service, alors que Liamine Zeroual a dû lutter dans une solitude impressionnante (dont malheureusement, compte tenu de son profil psychologique, il ne témoignera jamais) contre la conjonction des forces de la régression. Qu'on laisse donc le président de la République en paix. A 72 ans, Liamine Zeroual aspire à une retraite méritée et à consacrer son temps à l'éducation de ses petits-enfants auxquels il a donné tout son amour. Les Algériens doivent aussi savoir que Liamine Zeroual est d'abord et avant tout un homme de cœur, un homme de bien, doué d'une grande sensibilité et d'une capacité d'empathie que son aspect rigide et austère d'officier d'état-major ne laisse, il est vrai, guère soupçonner. Indiquer le bon choix pour la présidentielle de 2014 Pour autant, et c'est par cela que je conclurai ces quelques réflexions, l'ancien président de la République aurait tort de se sentir totalement quitte vis-à-vis des Algériens. Il lui reste encore un devoir, le dernier à accomplir. Il lui appartient désormais, auréolé de cette autorité morale et politique que l'histoire immortalisera à coup sûr, de dire aux Algériens lequel des candidats à la succession de l'actuel président de la République lui semble le plus apte, non pas à résoudre les problèmes du pays (ceci relève de la plus pure pétition de principe) mais, tout au moins, à surmonter certains des plus redoutables défis qui vont se poser au pays. Peu importe que cette personnalité soit issue de la nouvelle génération ou de l'ancienne, qu'elle ait exercé des responsabilités dans l'appareil de l'Etat ou non, que l'ancien président de la République la connaisse personnellement ou seulement de réputation, l'essentiel est que ce candidat porte les mêmes valeurs de rigueur, d'honnêteté, de dévouement et de sacrifice pour la patrie que Liamine Zeroual a incarnées durant toute sa carrière d'officier et d'homme politique. Lui seul, peut en conscience en décider. PS : C'est le dernier article que je consacre à mon grand frère le président Zeroual avant de finaliser sa biographie, dont la parution interviendra à l'automne 2014.