Complexe, floue et, pour l'instant, sans issue, telle est la crise qui frappe le Front de libération nationale (FLN) depuis plusieurs années. Apparue en 2003 avec la naissance du mouvement de redressement – ayant poussé à la démission l'ancien secrétaire général du parti, et candidat à l'élection présidentielle d'avril 2004, Ali Benflis, au lendemain du scrutin – elle s'est sérieusement compliquée ces derniers temps. Il faut dire que la situation que vit le FLN depuis le 31 janvier 2013, date à laquelle Abdelaziz Belkhadem, le premier bénéficiaire du coup de force d'il y a 10 ans, a été destitué du poste de secrétaire général, est kafkaïenne. Six mois de crise, de tiraillements et d'affrontements parfois physiques, les antagonistes, ce ne sont pas toujours les mêmes, qui animent l'arène de l'ex-parti unique, sont revenus cette semaine. Le coup est parti du siège de l'Assemblée populaire nationale (APN), à l'occasion du renouvellement des structures de la Chambre basse. La direction «provisoire» du FLN, menée par un tenace cacique, Abderrahmane Belayat, amateur d'intrigues et de «coups d'Etat scientifiques», faisant office de coordinateur du parti, devait donc procéder au changement des vice-présidents, des présidents de commission et du chef du groupe parlementaire. C'est ce qu'il a fait. Mais en touchant à un intouchable, Tahar Khaoua, député de Batna et chef du groupe parlementaire, la guerre éclate. Tahar Khaoua, appuyé par son adjoint Ahmed Djemaï, patron de Star Light, déclenche le premier les hostilités contre Abderrahmane Belayat. Il refuse d'abord de quitter son poste avant de passer à l'action en procédant carrément au remplacement des serrures des portes des bureaux du groupe parlementaire, pour empêcher l'installation de son successeur, Hadj Mohamed Lebid. Cependant, selon nos sources, ce n'est pas tant le remplacement du chef du groupe parlementaire sortant qui a irrité certains membres du bureau politique, mais le nom de celui qui prend sa place. Les ministres siégeant aux côtés du coordinateur du FLN et des membres du mouvement de redressement ont suggéré Ahmed Kharchi, député de Constantine, pour occuper le poste de président du groupe parlementaire. Ils ont proposé d'autres noms pour pourvoir les autres postes. Seulement Abderrahmane Belayat, soutient notre source, n'en a pas tenu compte et faisant fi d'un principe cardinal au sein du parti, indique notre interlocuteur : l'équilibre régional. Comme la présidence de la commission des affaires étrangères de l'APN est assurée par un élu de l'ouest, Zebar Rabah, député de Relizane, les contestataires, eux, veulent que la présidence du groupe parlementaire reste à l'est. Un vœu pieux ! Puisque Abderrahmane Belayat en a décidé autrement. «Ainsi fonctionne le FLN», commente un cadre du parti pour qui les dernières désignations ne répondent à aucune logique. Si Affif et Tahar Khaoua, les deux revers de la même médaille Elles portent plutôt, selon des indiscrétions, l'empreinte de Abderrahmane Belayat, Abdelkader Mechebek et Abdelhamid Si Affif, sorti pour la première fois de l'anonymat lorsqu'il a attaqué les militants du parti avec des chiens dobermans à Bel-Abbès en 2003. Le premier aurait placé un proche, le second son beau-fils et le troisième un élu de sa région. «Quand Tahar Khaoua accusait Belayat de participer à la liquidation des députés qui soutiennent Abdelaziz Bouteflika, autrement dit le clan présidentiel, c'était du cinéma.» Son objectif, indique un ancien membre de la direction du parti, est de renouveler son allégeance pour se protéger, «mais dire que le coordinateur national roule pour Ali Benflis, ancien secrétaire général du parti, est faux». C'est en réalité une diversion. C'est vrai que les ministres Tayeb Louh, Rachid Harraoubia, Abdelaziz Ziari, siégeant au bureau politique, ont contribué le 31 janvier dernier à la destitution de l'ancien secrétaire général du parti Abdelaziz Belkhadem. Ils n'ont pas pour autant remis en cause leur fidélité au clan présidentiel. Tahar Khaoua, indique notre source, «raconte n'importe quoi». Lui et les parlementaires milliardaires parachutés par l'ancien SG du parti continuent à nourrir l'espoir que Belkhadem reviendra. L'ancien secrétaire général ne cache ni son ambition de revenir à la direction du FLN ni celle de se présenter à l'élection présidentielle prévue en avril 2014. Comment ceux qui ont voté pour son maintien au poste de secrétaire général, Belayat, Si Affif, Mechebek d'un côté, Tahar Khaoua, Ahmed Djemaï et Baha Eddine Tliba et leur soutien de l'autre, se tirent aujourd'hui dans les pattes ? L'enjeu : les postes de responsabilité dans les structures parlementaires, mais pas seulement. En arrière-plan, il y a les prochaines élections présidentielles. Un ancien membre du parti, député plusieurs fois, du temps du FLN parti unique et après l'ouverture pluraliste de 1988, connaissant bien la maison et ses mœurs pensent que «si les membres du bureau politique et même en dehors se livrent une guerre sans merci, si Abderrahmane Belayat est contesté et s'est retrouvé face à des ennemis qui étaient hier ses amis dans le même camp que celui de Abdelaziz Belkhadem, c'est parce qu'ils ne savent plus où donner de la tête». L'explication : il n'y a aucune lisibilité pour ce qui est de l'élection présidentielle de 2014, d'autant plus qu'un quatrième mandat tant espéré et souhaité par les partisans du clan présidentiel est définitivement hypothéqué à cause des problèmes de santé du président Abdelaziz Bouteflika. Ce qui est sûr, affirme notre source, est que «la guerre entre les membres de la direction du FLN n'a aucune incidence sur la base militante du parti, dont ils ont perdu le contrôle depuis quelques années». Il ne leur reste que l'appareil. «Mais tant que les instructions ne sont pas encore parvenues quant à la direction à prendre lors de la prochaine élection présidentielle, le FLN restera encore en crise.» Belayat et ses interlocuteurs fantômes Qui veut que le FLN reste dans cette situation ? Abderrahmane Belayet ne cesse d'envoyer des messages qu'il est tout le temps en consultation avec «des parties» en ce qui concerne l'organisation de la cession du comité central. Maintenant sciemment le flou sur l'identité de ses interlocuteurs, réels ou fictifs, il laisse entendre, à qui veut l'écouter, qu'il attend un coup de fil. «De qui ?», avions-nous posé la question à un militant du FLN, fin connaisseur des mœurs de «la boîte». «Personne ne le sait», répond-il. De la Présidence ? D'un autre centre de décision, de la Direction du renseignement et de la sécurité (DRS) ? Les militants du FLN en connaissent, en fait, un bout. La dernière session du comité central qui a vu le départ de Abdelaziz Belkhadem, dans l'entourage des ministres qui ont pris la décision de participer à la destitution de ce dernier, on ne cessait de dire qu'ils ont reçu l'ordre de l'extérieur. Beaucoup chuchotaient aussi que le secrétaire général déchu avait reçu également l'ordre de résister après le vote de défiance qui a précipité son départ. Pour illustrer les injonctions que reçoit le FLN, notre interlocuteur raconte l'histoire d'un cadre du parti intervenant lors d'une assemblée générale présidée par le défunt Mohmed Chérif Messadia au lendemain des événements du 5 Octobre 1988. Au moment où il prononçait son discours, une voix s'est élevée dans la salle pour lui intimer l'ordre de se taire. Il regarde d'abord le président de la séance, celui-ci ne bronche pas, il continue tout de même. Mais la voix retentit une nouvelle fois. Prenant peur, il interrompt son discours. A ce jour, il ignore l'origine de la voix. «Rares sont les moments où le parti a pu s'émanciper des centres d'intérêt et de pouvoir qui lui sont étrangers», indique notre interlocuteur qui précise que cela est arrivé deux fois : à l'époque du défunt Abdelhamid Mehri et au temps de Ali Benflis qui avait présenté sa candidature à l'élection présidentielle de 2004 en tant que candidat du FLN. Mais la cacophonie, affirme ce cadre qui a requis l'anonymat, n'a jamais atteint ce niveau. Selon lui, «il y a une clochardisation très avancée du FLN». Pour sortir de cette impasse, certains membres du comité central et du mouvement de redressement proposent une direction collégiale qui gérera les affaires courantes jusqu'à la tenue du congrès l'année prochaine.