-Dans Montserrat, la pièce que vous avez montée avec la coopérative Port Saïd, vous avez tenu à respecter les règles du théâtre classique. Etes-vous d'accord pour un retour aux règles de base de la mise scène au théâtre ? Une pièce comme Montserrat doit être mise en scène dans les conditions du théâtre classique. On ne doit pas réduire de la durée pour s'adapter à ce que veut le public. Si le texte exige une pièce de trois heures, il faut le faire. Il faut respecter l'époque, l'environnement historique (costumes, langages, contexte, ndlr) et la durée de la pièce. Ailleurs, en Europe, certaines pièces peuvent durer jusqu'à sept, voire dix heures. Cela ne pose aucun problème. On introduit des entre'actes et c'est tout. Je crois que les théâtres doivent faire habituer le public à assister à des pièces de longue durée. On peut y arriver. Il faut investir dans le théâtre classique, le redécouvrir. Les dramaturges classiques se sont adressés à l'humanité. Leurs textes sont immortels. Que font les dramaturges contemporains ? Ils reprennent les idées des classiques. Il est important d'étudier le rythme des spectacles pour éviter d'ennuyer le public. Le casting doit aussi être bien fait et les textes bien choisis. Le metteur en scène doit également faire preuve d'honnêteté et de sincérité pour convaincre les spectateurs. C'est le secret de la réussite ! Le public ressent en tout cas lorsque le créateur ne le respecte pas. -On peut s'interroger sur le choix que vous avez porté sur le texte d'Emmanuel Robles (écrit en 1948)... Cette pièce évoque la liberté, met en avant la détermination d'un homme qui croit en l'avenir. Aujourd'hui, nous vivons une certaine torture morale. Chacun pour soi, l'esprit de la collectivité n'existe plus. Aussi, la pièce est-elle actuelle. Donc, le choix des textes ne doit pas être fait d'une manière arbitraire. Sinon, les gens du théâtre vont s'éloigner du public. On ne doit pas oublier aussi que le théâtre est un spectacle. On n'est pas là pour donner des leçons aux gens sur scène. Les gens ont besoin de divertissement également. -Pour la pièce Montserrat, vous avez choisi les ténors du théâtre algérien comme Taha Al Amiri, Nadia Talbi, Abdelnour Chelouche... Si je trouve dans une pièce qu'un personnage a 80 ans, je ramène un comédien du même âge. Je ne sollicite pas un jeune comédien pour le maquiller en vieux. Il faut pour cela des moyens, bien sûr. Cela dit, un comédien n'a pas de retraite. Appeler Taha El Amiri sur scène est une manière de lui rendre un grand hommage. Ce comédien a toujours des choses à donner. Il faut solliciter son expérience, ses connaissances. Il ne faut pas qu'on efface tout. Il est important d'avoir une relève, mais à partir d'une base, d'un héritage. De plus, Taha El Amiri a déjà joué dans la pièce Montserrat en 1949 à Alger. A l'époque, il avait interprété le rôle de Montserrat (le soldat juste, ndlr). En 2013, il joue le rôle de l'évêque. En 1963, Nadia Talbi avait joué le rôle de la jeune Héléna. En 2013, elle campe le personnage de la mère. C'est une évolution naturelle. Je pense que les générations de comédiens doivent communiquer entre elles, dialoguer. Il faut éviter la rupture. Je suis contre qu'on parle de têtes d'affiche. Ces comédiens ont été choisis parce qu'ils convenaient parfaitement aux rôles. Il ne s'agit pas de faire du social. -Vous avez sollicité de jeunes comédiens aussi ? Oui, j'ai sollicité les jeunes des troupes théâtrales amateures comme Lyès, Camélia. J'ai fait appel aussi à Kamel Zerrara, Samir Oudjit... Mahfoud Berkane, qui a joué le rôle de Monserrat, est diplômé depuix dix ans...Nous avons choisi des comédiens de plusieurs régions comme Tipasa, Aïn Defla, Batna, Alger. -Montserrat a été produite par un privé. En Algérie, il est plutôt rare qu'un chef d'entreprise s'intéresse à la production d'une pièce théâtrale. Cela concerne aussi les autres arts... Le producteur est un privé, l'entreprise ACI que dirige Rabah Allam. C'est une bonne initiative. Autant saluer l'engagement du privé dans l'investissement culturel. Rien ne dit que dans le futur l'Etat continuera à donner de l'argent au secteur culturel. Le patron de cette entreprise est un ancien comédien. C'est un grand amoureux du théâtre. Il a financé le spectacle à 100%. Et je sais que d'autres opérateurs économiques souhaitent investir dans la culture. Il faut aussi qu'on sorte de la centralisation dans les activités théâtrales. Le quatrième art doit s'ouvrir à l'initiative privée. L'existence d'une réelle volonté politique peut encourager les opérateurs économiques à s'investir dans la culture. A mon avis, Rabah Allam peut même construire un théâtre ou une salle de spectacles. Lors de la générale de la pièce au TNA à Alger, beaucoup d'hommes d'affaires sont venus et ont exprimé leur intérêt pour la culture. Je crois que notre expérience va ouvrir les portes à toutes les troupes théâtrales. Sauf qu'il faut être professionnel pour convaincre, faire une bonne distribution, une mise en scène qui se respecte. -Et quel constat faites-vous du théâtre algérien actuel ? Comment évolue-t-il ? On doit comprendre que le créateur n'est pas en train de faire une étude sociologique. Dans les conditions socioéconomiques actuelles, on doit s'interroger sur quel type de théâtre il faut présenter aux Algériens. Il y a un fossé entre ce que vit le peuple algérien et ce qui est joué sur scène. Qui est hors- champ : le public ou le créateur ? Il faut un projet culturel, une politique culturelle. Cela va amener la société à s'intéresser au théâtre. Il faut entretenir le goût pour l'art dès le jeune âge. Il existe bien une différence entre manger et goûter. J'ai vu plusieurs pièces théâtrales ces derniers temps, mais sans y trouver du goût. C'est de la consommation. Pour évoluer, il faut des textes et des metteurs en scène sérieux avec des comédiens qui le sont tout autant. Des comédiens qui doivent retrouver leur place. Le théâtre a bénéficié d'argent ces dernières années sans que cela ne soit accompagné de stratégie, de vision. Certains théâtres régionaux montent des pièces pour qu'on dise qu'ils ont produit, fait quelque chose. On fait l'occasionnel. On doit renverser la vapeur, le politique doit suivre l'intellectuel, comme cela se passe partout ailleurs. L'artiste ne doit pas devenir l'exécutant du politique. Seuls les gens du métier, les professionnels doivent rester sur le terrain. Je suis un rebelle. Je refuse de suivre une politique que je n'accepte pas. Je ne veux pas qu'on m'impose un texte à mettre en scène.