Jérôme Ferrari, lauréat du Prix Goncourt 2012 pour son roman Le Sermon sur la Chute de Rome, était présent, ce mois, au Salon francophone du Livre de Beyrouth. Une occasion pour El Watan Wee-kend d'aller à la rencontre d'un auteur dont l'œuvre arrive difficilement à se défaire de l'Algérie. Beyrouth (Liban).
- Quelles sont vos impressions, tout juste un an après avoir gagné le prix Goncourt ?
Un an après ? Je ne sais pas, plus grand-chose. J'ai mis un petit peu de temps à réaliser l'année dernière, mais maintenant ce n'est plus le souvenir du prix, mais les conséquences sur mon agenda qui dure jusqu'à aujourd'hui. C'est un prix dangereux parce qu'il met la pression, après chaque sortie de roman met la pression. Mais il ne faut pas y faire attention et surtout, il ne faut pas que ça empiète sur le projet littéraire. C'est un prix dangereux le prix Goncourt justement parce que les lauréats peuvent se mettre beaucoup de pression pour être à la hauteur du prix, parce que les auteurs sont attendus au tournant et qu'il y a toutes les chances de se faire massacrer.
- Que pensez-vous d'ailleurs de votre successeur en tant que lauréat de prix Goncourt de cette année (NDLR : cette année, le prix Goncourt a été attribué à Pierre Lemaître pour son roman Au revoir là-haut) ?
Je dois avouer que je ne l'ai pas lu et par conséquent, je ne peux rien dire dessus, si ce n'est faire des commentaires positifs. J'ai juste lu des choses sur le livre, mais rien de plus, précisément à cause de l'agenda, mais aussi parce que je n'avais pas une envie énorme de m'intéresser au prix, mais plutôt l'oublier.
- Dans quel cadre étiez-vous présent au Salon du livre francophone de Beyrouth ?
Alors, en fait je suis venu dans le cadre de l'Agence des établissements français de l'étranger (AEFE) pour rencontrer les jeunes scolarisés dans les lycées français de Beyrouth et donc mon passage au Salon du livre francophone a plutôt été une exception dans l'agenda davantage que la raison qui m'a fait venir. Après, je pense que ça a été fait un peu exprès de m'amener en même temps que le salon. Mais j'ai eu l'occasion de croiser Mathias Enard (NDLR : auteur français, lauréat du prix Goncourt des lycéens 2010), donc ça m'a fait plaisir. J'avais aussi envie de venir parce que le Liban m'attire beaucoup.
- Parlons justement de cette conférence qui avait pour thème «Destins brisés» à laquelle vous et Mathias Enard étiez conviés...
Je pense que je construis des personnages qui ont des destins brisés. Après, c'est aussi parce qu'un destin brisé c'est toujours plus romanesque qu'un destin victorieux, je me vois mal écrire l'histoire d'une success story, ça ne m'intéresse pas, et puis parfois ce ne sont pas des destins brisés spectaculaires. En revanche, oui, c'est un peu une constante de ma littérature.
- Pourquoi le Salon du livre francophone de Beyrouth plutôt que le Salon international du livre d'Alger (SILA) ?
J'ai accepté l'invitation du Salon de Beyrouth parce qu'elle m'a été faite avant. Mon agenda est fait depuis très longtemps, c'est pour ça que je ne suis pas à Alger. Il me semble que le SILA m'avait contacté trop tard pour cette année. Ils m'ont contacté une première fois, puis une seconde fois, mais j'avais déjà pris d'autres engagements. J'ai beaucoup de demandes depuis le prix Goncourt et pour avoir un ordre d'idées, je sais déjà que je serai à un Salon du livre francophone en Amérique du Sud en 2015. Mais je serai à Alger en avril prochain.
Pareil qu'à Beyrouth en fait, j'y vais dans le cadre de l'AEFE. Je vais en Algérie et en Tunisie avant de retourner à Abu Dhabi. Il y aura certainement des événements de prévu avec les éditions barzakh qui me publient en Algérie. Je vais rester deux jours en Algérie et deux jours en Tunisie. J'avais initialement été invité en Tunisie puis j'ai demandé si par la même occasion, je ne pouvais pas aller en Algérie également.
Ça oui, j'ai très très envie de passer à Alger, oui. Ne pas pouvoir dire oui à une invitation au Salon du livre d'Alger, ça m'embête beaucoup parce que parfois je vais dans des endroits où ça ne serait pas une tragédie que je n'aille pas, mais l'Algérie, c'est toujours, toujours spécial.
- Quelle est l'importance de l'Algérie dans votre travail littéraire ?
Dans tous les romans que j'ai écrits depuis mon expérience professionnelle en Algérie (NDLR : Jérôme Ferrari a été professeur de philosophie au lycée international Alexandre Dumas d'Alger entre 2003 et 2007). Où j'ai laissé mon âme se déroule entièrement en Algérie, Le Sermon sur la chute de Rome contient des scènes qui se passent en Algérie, et elle y joue un rôle important. Dans tous mes romans il y a une trace d'Algérie. Ceci étant dit, on ne travaille jamais à partir d'une volonté abstraite et l'Algérie s'est toujours imposée à moi comme une évidence dans la littérature que je produis. Je ne sais même pas comment décrire la chose. Quand j'ai écrit mon premier roman, c'était Alger. J'ai recommencé à écrire parce que j'étais à Alger, l'Algérie a fait beaucoup pour moi, beaucoup.
- Vous serez en Algérie en avril 2014, date de l'élection présidentielle. Un avis ?
J'ai intérêt à prendre mon visa avant que les consulats ne soient pris d'assaut. Sinon, plus sérieusement, je ne suis pas les événements au niveau politique, mais plutôt au niveau de contacts humains. J'ai vu la candidature de Yasmina Khadra, mais pas plus.
- Qu'en pensez-vous justement ?
Je n'ai pas les éléments pour en penser quoique ce soit, sans langue de bois aucune. Je déteste donner un avis sur un sujet que je ne connais pas du tout, c'est être condamné à dire une bêtise.