A l'exception du secteur du bâtiment, probablement jamais un chantier n'a connu autant de retard que celui de la réforme de l'école ou plus généralement du système éducatif. Nos potaches ne sont pas encore au bout de leurs peines. Pour preuve, l'inamovible ministre de l'Education qui multiplie depuis une bonne douzaine d'années les expériences malheureuses dans son laboratoire du « Golfe » (siège du ministère de l'Education nationale) sur ces cobayes que sont devenus nos écoliers, a annoncé, hier, son énième réformette : repousser l'enseignement de la langue française de la 2e à la 3e année du primaire à compter de la prochaine rentrée des classes. Boubekeur Benbouzid pose un diagnostic et des arguments dont on laisse le soin aux spécialistes d'apprécier la « pertinence » : « La décision a une explication pédagogique que le pouvoir politique s'est retrouvé dans l'obligation de prendre en charge. C'était une précipitation d'enseigner la langue française dès la 2e année primaire, les deux premières années du cycle primaire doivent être réservées spécialement et spécifiquement à la maîtrise de la langue maternelle », a-t-il argué, hier, à l'occasion d'une journée d'étude sur les établissement privés d'enseignement. Le ministre ne dit évidemment pas comment il a pu arriver à ce constat a priori très discutable. Il faut rappeler que l'enseignement du français en 2e année a été recommandé par la fameuse commission Benzaghou en 2004. Une commission constellée d'éminents spécialistes de la psychopédagogie, des sciences de l'éducation, triés parmi le gratin des compétences nationales par le président de la République. L'on s'en souvient, M. Benbouzid s'était fait fort d'applaudir à tout rompre et de défendre les recommandations de cette commission attaquée alors de front par les tenants de l'école « arabo-baâthiste » emmenée par Ben Mohamed et encouragée par Djaballah et Belkhadem. On efface tout et on... M. Benbouzid était à l'époque à l'avant-garde d'une « école progressiste et moderniste ». Le rapport de la commission, qui a été mis sous le coude pendant une certaine période par le président Bouteflika au plus fort de l'agitation de Ben Mohamed et consort, a pu être mis en application plus tard en servant de feuille de route à la grande réforme du système éducatif. Benbouzid a salué ce coup de pied dans la fourmilière de l'école, comme beaucoup d'Algériens. Aujourd'hui, le ministre croit curieusement déceler de l'empressement dans le travail de la même commission. Il lui jette ainsi la pierre en la rendant coupable de « précipitation ». Après avoir assumé politiquement et pédagogiquement cette mesure, le ministre de l'Education la rejette aujourd'hui presque avec autant de conviction que le jour où il l'a applaudie. Il a pourtant promis que l'année 2006 allait être celle de la mise en application de toutes les réformes dans son secteur, voilà qu'il nous propose de réformer...la réforme à travers le décalage de l'enseignement du français dans le primaire. Rien ne garantit suivant cette façon bizarre de faire que les quelques autres acquis du rapport Benzaghou ne soient pas également remis aux calendes grecques. L'arrivée aux commandes du gouvernement de Abdelaziz Belkhadem, connu pour son attachement maladif à l'arabisation à outrance et la remise en selle des islamo-conservateurs, a sans doute été pour quelque chose dans ce début des remises en cause.