Les quelque 400 chalets du site dénommé Ali Amrani 3 situés à Bordj El Kiffan offrent cette image lugubre d'un endroit malfamé où ne subsiste qu'un semblant de vie. S'y rendre n'est guère aisé. Un certain mercantilisme s'est fait jour dans cet endroit. Tout y passe : du tacot asiatique jusqu'aux camelotes venues de la lointaine Amérique. De ce vacarme, les sinistrés des chalets n'en ont cure. C'est que leurs soucis sont ailleurs. Ainsi, la décision d'interdire le marché informel qui s'est installé non loin de là n'a pas été de leur goût. « Bien qu'il apporte des nuisances, il n'en est pas moins bénéfique », affirment-ils. Les gens, visiblement à bout, ne mâchent pas leurs mots. Seule chose qu'ils ont d'ailleurs. Le sentiment récurent qui revient dans la bouche de beaucoup d'entre eux, sinon de tous, est celui d'abandon dont font preuve à leur égard les autorités publiques. Sortiront-ils dans la rue comme les sinistrés de la willaya voisine ? Le pas sera vite franchi tant la décrépitude est partout perceptible, attestent-ils. Des sinistrés, originaires pour la plupart de Hai Stamboul, se lèvent contre les discriminations à leur égard. « Il y a deux semaines, la wilaya a convoqué l'ensemble des walis délégués. Ceux de Dar El Beïda et de Bouzaréah n'auraient pas assisté à cette réunion. Les quotas ont été distribués avec les seuls walis délégués présents. L'opération de relogement se déroulera le 15 juin », s'emportent ces citoyens qui affirment qu'une première liste de bénéficiaires a été revue selon « les humeurs » d'une seule personne travaillant comme architecte dans la circonscription administrative de Dar El Beïda dont relève le site. « Quelque 450 logements se trouvent dans notre circonscription aux Bananiers et visiblement nous n'en bénéficierons pas », ajoutent-ils. Les sinistrés déclarent que, cette fois-ci, ils gêneront le déroulement de l'opération s'ils « ne sont pas du lot ». Des citoyens des communes de Mohammadia et de Dar El Beïda ont été récemment logés dans les chalets. C'est ainsi que 94 familles occupent ces chalets brinquebalants, désertés lors de l'opération de relogement de février dernier. « Alors que l'Etat s'est engagé à nous reloger au bout de 18 mois, voilà qu'on en vient à boucler notre 3e année », lâcha, dépité, un citoyen qui a vu sa bâtisse s'effondrer avec le séisme du 21 mai 2003. Cet octogénaire habitait Hai Stamboul non loin du site. De la promiscuité, il n'en souffre pas. Il occupe ce chalet avec son enfant et sa jeune épouse. « Plutôt une aubaine pour moi, ajoute-t-il, mon fils né d'un premier lit est allé en Arabie Saoudite poursuivre des études en charia », révèle M. Touati, alité depuis 3 mois. Chalets brinquebalants Des relents de moisissure se dégagent de l'endroit. « Cela est dû aux regards qui coulent le long des chalets qui sont faits pour ne résister qu'une seule année », soutient l'épouse. A quelques pâtés de chalets plus loin, le ton est plus cru. Sous la chaleur pesante de cet après-midi, des femmes s'essaient à redonner une certaine gaieté à cet endroit. Celle qui accepte de nous accueillir est originaire de la commune de Kouba. Elle occupe le chalet avec son mari et ses deux enfants en bas âge. Autant dire une aubaine. La présence de l'agent de sécurité de l'OPGI ne la dissuade guère. « J'attends toujours un logement. Des pistonnées en ont bénéficiés alors que nous, nous attendons toujours. A chaque fois que l'on va à l'OPGI, l'on nous sert la rengaine que nous déménagerons. Rien de concret ne nous est proposé. » « Nous qui étions les premiers à nous y installer, nous n'avons rien trouvé, sauf les murs. Ce n'est que par la suite que l'OPGI a installé les commodités. Passée une année, la situation s'est gâtée. Les chalets constitués de 2 chambrettes et d'un semblant de salon que nous occupons parfois à plusieurs sont devenus insupportables », lance une vieille dame aux cheveux plus sel que poivre. « Un feu s'est déclaré dans le chalet de mon voisin. Le sinistre a atteint le mien et les services de l'OPGI n'ont pour réparé les dégâts qu'après mon insistance. » Le chalet endommagé y est toujours. Des enfants aux visages hagards s'y pendillent dans un nuage de fumée glauque. Un promoteur a installé des containers où sont entassées des monticules de ferraille. L'eau devient une denrée rare l'été, signale-t-on. Ce qui aggrave les choses, c'est la mise en service de la piscine toute proche du site avec la saison estivale. « Dernièrement, ils ont décidé de la laver à grand eau et on s'est retrouvé sans eau », dira notre interlocutrice. Et d'ajouter : « Les enfants sont obligés de nous ramener l'eaud de chez les propriétaires de villa vont qui ont des puits. » Autre problème patent : défaillance du réseau électrique. « Durant l'hiver, on nous coupe l'électricité à partir de 19h sans en être informés. On n'en est alimenté à nouveau qu'à 4 h », atteste-t-elle, la mine défaite. Défrayant la chronique, les vols constituent le sujet de discussion qui tient en haleine la « contrée ». Les voleurs redoublent d'ingéniosité pour marauder les chalets. Ils y accèdent, nous explique-t-elle, par le trou des sanitaires. « Ils volent tout ce qui leur tombe sous la main. Ici, les gens ne se battent plus avec les mains mais préfèrent recourir au sabre », explique la dame. S'y ajoute le phénomène de la prostitution qui prend des proportions atterrantes. « Des jeunes venus d'ailleurs ont cassé des chalets et font venir leurs proies », ajoute-t-elle. Les collégiens et les lycéens prennent le bus pour aller à Kahouet Echergui ou à Bab Ezzouar. Les enseignants du primaire boudent, selon eux, les classes. « Leur seul argument est qu'ils sont agressés par les élèves. Le directeur est muté à chaque fois. On en est à notre troisième directeur depuis notre installation ici », signalent des élèves. Trouver un bus pour quitter les lieux n'est guère facile. La RN 24 toute cabossée est bouchée à toute heure. « Ces sinistrés sont comme des insulaires qui ont échappé au naufrage d'un bateau cassé », affirmeront certaines personnes gouailleuses.