Décidément, le gouvernement algérien semble avoir une sympathie marquée pour les Qataris. Le petit émirat du Golfe qui a raflé les plus grands projets industriels est en passe de devenir l'un des premiers investisseurs étrangers en Algérie : Qatar Steel International (QSI) partenaire du groupe public Sider, et le Fonds national des investissements (FNI) dans le futur complexe sidérurgique de Bellara (Jijel). L'attribution, en 2013, de la construction de cette usine de 5 millions t/an d'acier à QSI avait d'ailleurs déclenché les foudres du groupe algérien Cevital, qui y avait pourtant postulé trois années auparavant. Dans le secteur minier — phosphate et or — c'est encore un aqatari, le groupe Qatar Mining, qui était le favori de nos dirigeants. Son compatriote Qatar Pétroleum International (QPI) a, lui aussi, bénéficié de l'illustre privilège d'être associé à de juteux contrats d'investissements dans les filières pétrolière, gazière ou encore pétrochimique. Jusqu'ici rien d'étonnant ou presque, surtout lorsqu'on sait que les qataris sont en train de placer un argent fou dans des projets implantés un peu partout dans le monde, grandes puissances y compris. Les Qataris privilégiés Mais là où des questions, et elles sont nombreuses, s'imposent et des zones d'ombre persistent, c'est bien autour du fameux projet du pôle pétrochimique d'engrais phosphatés Di-Ammonium Phosphate (DAP) que s'apprêtent à mettre sur pied les partenaires de Ferphos Group, la Holding Asmidal (Algérie) et…. Qatar Pétroleum. «Fameux», car délocalisé d'une wilaya à une autre — Jijel, Tébessa, Annaba, Guelma —, le projet aura parcouru un long et laborieux périple pour finalement élire domicile dans la localité de Oued Kebarit, entre d'El Aouinet, à une soixantaine de km au nord de la wilaya de Tébessa et la wilaya de Souk Ahras. Comment la richissime compagnie Qatar Petroleum a-t-elle été choisie au titre de futur associé de Ferphos et Asmidal dans ce méga complexe pétrochimique dont le coût de réalisation s'élève à 5 milliards de dollars ? La réponse est, peut-être, à chercher du côté de ceux qui en ont décidé. Car, d'après des sources proches du groupe minier public Manadjim Aldjazair (MANAL), «alors que la partie algérienne étaient en pleine consultation menée durant toute l'année 2012 avec 5 colosses de l'industrie d'engrais de renommée mondiale — français, allemand, pakistanais, russe et indien — sur instructions fermes émanant de la plus haute administration, il a été décidé d'y mettre un terme pour des raisons occultes. D'autant que les consultations qui étaient en cours allaient aboutir». Mais les explications n'ont pas tardé à venir et les zones d'ombre à se dissiper. Début janvier 2013, soit au lendemain de la visite en Algérie du désormais ex-émir du Qatar, Hamad ben Khalifa al-Thani, c'est le nom de Qatar Petroleum qui fera irruption. Pour la réalisation de ce pôle industriel appelé à transformer quelque 40 MT de masse rocheuse (phosphate) nécessaires à la production de 3 MT de DAP/an, l'Algérie a fini par faire appel à deux partenaires stratégiques, le Qatar et la Norvège. Une démarche concrétisée par un accord en ce sens signé à Doha quelques mois après, soit le 24 mars, par Manal, le propriétaire de Ferphos Group et Asmidal, récemment passée sous le giron de Sonatrach. Ce qui n'a pas manqué de susciter des réactions auprès de plusieurs membres influents de la puissante International Fertilizer Industry Association (IFA) ainsi que de certains experts avertis de FMB Group, une maison d'édition basée à Londres — référence mondiale dans tout ce qui se rapporte à l'actualité de l'industrie des engrais, de leur commerce international et de leurs marchés. Nombreux sont, aussi, les observateurs nationaux bien au fait des rouages de l'industrie des engrais à se demander : «Sur quelle base a-t-on opté pour les qataris de QP en l'absence d'une quelconque procédure d'appel d'offres international ni d'une consultation directe ?» Retrait du géant mondial Yara International Autre curieuse décision, autre dimension. Le partenaire norvégien, Yara International, le numéro un mondial des engrais minéraux, vient d'annoncer, selon la presse spécialisée internationale, son retrait du projet de Oued Kebarit dont l'entrée en production effective est annoncée pour 2017. En cours, l'étude de faisabilité devrait être close dans six mois. Mais les choses semblent s'accélérer eu égard aux enjeux qui en découlent. Outre les plus de 1,2 milliard de dollars/an de ressources en devises attendues, les près de 6000 emplois directs et indirects qu'il va générer, le complexe pétrochimique s'inscrit dans la politique publique visant à développer le potentiel minier national. L'objectif majeur étant de hisser la production actuelle de phosphate à hauteur de 5 MT en vue de satisfaire la demande internationale et les besoins internes, surtout en termes d'engrais : actuellement, notre pays importe en moyenne 300 000 t/an pour les besoins de l'agriculture nationale, et ce, depuis l'arrêt de production de feue Asmidal Annaba qui approvisionnait le marché domestique jusqu'en 1995. Puis, n'est-il pas grand temps de se libérer du paradigme rentier ? Car, au moment où ses concurrents arabes directs comme le Maroc, la Tunisie, l'Egypte ou encore la Jordanie enrichissent et transforment sur place en produits plus rémunérateurs l'essentiel de leurs productions respectives, l'Algérie préférait exporter son roc (phosphate à l'état brut). La détermination des pouvoirs publics à concrétiser la plateforme pétrochimique de Souk Ahras témoigne à bien des égards la prise de conscience quant aux lourdes conséquences de ce mauvais choix. Mais la question que d'aucuns se posent est la suivante : sans son principal partenaire Yara, la compagnie Qatar Petroleum International (QPI) est-elle techniquement et technologiquement en mesure de s'engager en solo dans un projet d'une telle envergure ? Aux yeux de nombre d'observateurs et spécialistes de l'industrie pétrochimiques interrogés, la perte d'un allié de la taille du leader norvégien — il est présent dans 50 pays et jouit d'un savoir-faire technologique dans l'industrie des fertilisants et est mondialement reconnu — est susceptible d'amortir l'ardeur de ceux pour qui l'ambitieux projet de Oued Kebarit et les qataris s'avèrent si « chers». En tout cas, une chose est sûre : pour amener le géant scandinave — il trône également sur les marchés mondiaux du négoce et du fret d'ammoniac avec plus de 4,5 milliards de dollars annuellement engrangés et 440 000t/an de capacités de transport — à revenir sur sa décision, le recours à la voie diplomatique est incontournable. Néanmoins, toujours selon nos interlocuteurs, la balle est désormais dans le camp des qataris. Ceux-ci devraient, en effet, céder du terrain en faveur de leur partenaire norvégien car, nous a-t-on précisé, si Yara International a choisi de se séparer de QPI, son allié de toujours, c'est bien du fait d'un désaccord autour du taux de participation dans le fort juteux projet algérien.