Dès le début des affrontements, les forces de sécurité ont été accusées de ne pas maintenir le calme. Les autorités locales et nationales sont taxées de laxisme. Sur le terrain, au quotidien, quelques hommes tentent d'apaiser les esprits pour que les violences cycliques s'arrêtent. «Pendant les affrontements, personne ne peut être pour la paix. Si tu demandes aux personnes de ta communauté d'arrêter les violences, elles vont te considérer comme un traître.» Cet habitant en est gêné, mais il est formel : sur le terrain, ceux qui tentent de trouver une solution pacifique et durable aux sursauts de violence de Ghardaïa sont peu nombreux. Parmi eux, il y a Mohamed Djelmami, 61 ans. Cela fait deux semaines qu'il a ouvert à nouveau la laiterie dans laquelle il travaille, malgré l'appel à la fermeture des commerces : «Nous faisons le service minimum pour ne pas pénaliser les éleveurs.» Pour cela, ses camions empruntent une piste qui contourne la ville pour éviter les violences. «Nous ne pouvons pas rester dans cette situation. Malgré les souffrances, il faut recommencer à vivre pour faire échouer ceux qui cherchent le chaos.» Voilà pour ses activités la journée. La nuit, il organise la surveillance de son quartier, l'Oasis. A tour de rôle, 24h sur 24, des groupes d'habitants sont de garde. «Nous nous relayons, comme à l'armée. Vigilance pendant 2 heures, puis 4 heures de repos. Les vigies sont ravitaillées par les habitants», explique-t-il. En parallèle, Mohamed Djelmami tente de maîtriser les jeunes. «J'habite ici pendant les douze mois de l'année, c'est mon quartier, il est hors de question qu'il y est ici la moindre violence», répète-t-il. Son quartier, entièrement habité par des Mozabites, est traversé par une route qui mène à un autre quartier, habité par l'autre communauté. Lors de la première nuit de violence, un Arabe a été arrêté au volant par une centaine de jeunes Mozabites. A ce moment-là, des habitations mozabites étaient la cible d'incendies dans un quartier voisin. Mohamed Djelmami a réussi à raisonner les jeunes : «J'ai insisté auprès du conducteur. Je lui ai demandé de raconter, chez lui, qu'il avait été arrêté mais pas agressé.» Sollicité Des jeunes d'autres quartiers ont voulu barrer la route et s'attaquer aux bus qui passaient mais les équipes de surveillance sont parvenues à les en empêcher. Une réussite ? «J'ai les numéros de téléphone de tout le monde. Et surtout, je suis présent auprès de ces jeunes tous les jours depuis des années», raconte Mohamed Djelmami. Pour un conseil, une adresse, celui qui a une expérience internationale du commerce est toujours là lorsqu'on le sollicite. Cette semaine, il a même organisé une rencontre avec plusieurs jeunes commerçants qui veulent aller investir en Chine. «On ne peut pas se présenter aux jeunes dans des conditions pareilles, leur demander d'écouter nos appels au calme, si on n'a jamais discuté avec eux, jamais répondu à leurs inquiétudes auparavant.» Il avoue à demi-mot que certains jeunes sont venus lui demander s'ils avaient le droit de tuer. Aujourd'hui, les incendies et les agressions ont pris fin, mais Mohamed Djelmami est amer. Peu de personnalités se sont mobilisées pour maintenir le calme : «Personne ne veut aller au fond des choses. Il y a des discours creux qui ne veulent rien dire et des vœux pieux.» Il regrette que ceux qui ont «une intégrité morale extraordinaire» n'aient pas pris la parole. «Pour que la paix revienne, l'élite des deux communautés doit se dégager. Du côté de notre communauté, il faut faire en sorte que les brebis galeuses et les fauteurs de troubles soient mis à l'écart.» Mohamed Djelmami sait bien que ses propos ne plaisent pas à certains. Il sourit en évoquant ses projets : continuer à encadrer les jeunes, repenser un enseignement de la citoyenneté. Est-ce bien son rôle ? «L'Etat doit jouer ce rôle-là. Mais s'il ne le fait pas. Qu'est-ce qu'on fait ? On reste comme ça ?» Non-agression Dans la commune d'El Atteuf, à 6 km de Ghardaïa, l'Etat a déçu. Mais les hommes ont pris la relève. Dans la ville, il n'y a eu aucun affrontement. «Le premier jour des violences, nous avons réuni en urgence, à 16h30, les responsables des 4 quartiers de la ville à l'APC», raconte Hadj Aïssa Ibrahim Ben Mohamed, président du conseil des notables du ksar de la ville. Les 4 hommes ont signé un «pacte de non-agression entre communautés». Au fil des jours, des jeunes d'autres communes ont bien essayé de venir s'attaquer aux habitants, mais ici aussi, on avait installé des brigades de surveillance. Hadj Mohamed Omar, le vice-président du conseil, est persuadé que le tissu associatif de la ville y est pour quelque chose : «Nous avons des associations de quartier, des associations culturelles, de bonnes écoles. Tout cela participe à la prévention.» S'ils conçoivent que ce n'est pas leur rôle d'assurer la sécurité, ils ne se résolvent pas à faire confiance aux forces de sécurité. «Les gens n'ont plus confiance en l'Etat. Comment expliquez-vous qu'à Beni Izguen, lorsque la ville a été attaquée, les forces de sécurité sont arrivées 12 heures plus tard. A Melika, les destructions ont eu lieu en face du commissariat, personne n'a bougé le petit doigt. Pourtant la sécurité est un droit inscrit dans la Constitution. Nous y avons tous droit.» Ce soir-là, les notables mozabites se réunissaient chez un membre de la famille de Hadj Aïssa Ibrahim Ben Mohamed. Ils ont leur opinion sur les solutions au conflit. D'abord, une cellule psychologique pour prendre en charge les victimes. Ensuite, des indemnisations pour les maisons détruites. Enfin, des excuses de l'Etat pour les dépassements de la police. Berriane Sur le parking devant sa maison, Bouhafs Bouamer a le téléphone collé à l'oreille. Cet ingénieur à la retraite vient de sortir d'une réunion avec les autorités locales. Ce matin-là, il s'est rendu à Berriane, à 40 km de là, alors que des magasins avaient été attaqués la veille. «Nous voulions lancer un appel aux sages de notre communauté et aux jeunes.» Il a traversé la ville, discuté avec une quinzaine de personnes, dont plusieurs jeunes. «Les jeunes, dans cette crise, ont besoin d'être écoutés.» Bouhafs Bouameur faisait partie de la délégation réunie lors de la visite du Premier ministre Abdelmalek Sellal. Une visite perçue comme un échec par de nombreux habitants. Pour l'ex-ingénieur, les hommes politiques doivent se tenir à l'écart des discussions. «La société civile a un rôle fondamental, mais uniquement la société civile. Je parle des gens respectables, acceptés par la société.» Président d'une fondation des Chaâmba, il a refusé de discuter avec certains partis : «Quelqu'un qui veut l'apaisement doit être là depuis le début, pas à la fin des événements. Où étaient-ils il y a un mois ? Nous ne rejetons personne, mais ils ne doivent pas se mettre au premier rang !»