Béjaïa ne devrait pas être l'inconnue du scrutin d'aujourd'hui. Tout concourt à une reconduction du schéma traditionnel concernant le piètre taux de participation de l'électorat. Plus que sur le reste de la Kabylie, les regards sont braqués aujourd'hui sur cette wilaya, parce qu'elle a été la «fausse note» de la campagne électorale pour avoir été l'unique théâtre d'émeutes pendant les jours pré-scrutin, lorsque le meeting de Abdelmalek Sellal a été empêché et la maison de la culture incendiée. L'intérêt est suscité plus par le climat peu serein qui y règne que par le taux de participation qui a de tout temps été des plus faibles à l'échelle nationale. Deux meetings de campagne ont été empêchés, une bagarre dans la rue entre pro et anti-Bouteflika, des manifestations de rue. Psychose... Les appréhensions nées de l'épisode houleux du 5 avril dernier sont encore dans l'air et s'ajoutent à ces ingrédients du scrutin d'aujourd'hui. Les lendemains incertains ont provoqué une psychose qui s'est emparée de la population. Des commerçants nous ont informés avoir épuisé des stocks de semoule en des temps records. «Je resterai chez moi et prierai Dieu que tout se passera bien et que ce ne sera pas Boutef notre prochain président. J'ai peur qu'il nous arrive quelque chose comme les autres», nous dit Yasmine, une jeune Bougiote non politisée. Beaucoup de citoyens partagent cet état d'esprit, envahis par l'inquiétude. Par l'incertitude aussi. «Voter ? Ahhat, peut-être. En fait, je ne pense pas», répond Saïd, étudiant depuis quelques mois en France. «Vous savez, tout le monde ici me parle de ça. Les Français sont étonnés de ce scandale qui va se produire avec Boutef et Sellal», ajoute-t-il. «Moi ? Non ! Et toi ?» réplique, sans hésitation, Warda, une femme qui ne «compte pas sortir» de chez elle aujourd'hui. «Ma carte, je l'utilise juste pour me faire établir un certificat de résidence. J'ai voté en 2009 par curiosité, pour voir comment ils font. Mais j'ai mis juste l'enveloppe dans l'urne, cette année je ne le ferai pas. Comme il y a Gaïd Salah et Boutef donc tout est possible. Oulache dimocratia», explique-t-elle. Hmimi, fervent supporter du populaire MOB, lui, n'est pas votant : «Je ne vote pas. S'il y avait Rachid Nekkaz, ç'aurait été autre chose. Lui au moins il m'a convaincu. Il fait du bénévolat en France, il aide les femmes voilées qui n'ont pas leurs droits, il a visité Ghardaïa durant les émeutes, même s'il n'est pas président. Il a aussi débarrassé Reghaïa des ordures !» La région est connue pour être réfractaire aux consultations électorales, surtout présidentielle. Rien ne prédit un quelconque changement d'attitude pour cette fois-ci. Bien au contraire, les données de ce vote favorisent un fléchissement, ou tout au mieux le maintien du seuil des précédents taux au vu du boycott prôné par plusieurs partis, dont le RCD, et la position, bien qu'ambiguë, non participationniste du FFS qui a laissé ses militants sans une orientation politique. Voteront-ils ? Pour qui le feront-ils ? Béjaïa a été l'une des wilayas qui n'a pas vibré à la campagne électorale, si ce n'est la secousse de la maison de la culture. Deux candidats, Ali Fawzi Rebaïne et Abdelaziz Belaïd, ont d'ailleurs jugé inintéressant de s'y déplacer. Exception faite pour le meeting de Ali Benflis qui a fait le plein à la salle Bleue, que ni Ahmed Ouyahia ni Louisa Hanoune n'ont pu remplir même avec un public déplacé d'ailleurs. Le rejet de la candidature du président-candidat pour un quatrième mandat aggravé par sa maladie et le ras-le-bol de la population semblent avoir profité au candidat Benflis qui pourrait récolter des voix inespérées à Béjaïa. C'est cette seule hypothèse qui risque de donner lieu à un meilleur taux de participation. En 2004, Bouteflika a devancé Benflis de 530 voix dans la wilaya. Le 8 avril 2004, 69 740 électeurs ont voté dans la wilaya de Béjaïa, donnant un taux de participation d'un peu plus de 16%, avec la participation de Saïd Sadi et le boycott du FFS. Le 9 avril 2009, le taux est passé à près à 29% dans une présidentielle à laquelle n'avaient pourtant pas pris part ni le FFS ni le RCD. Une présidentielle au bout de laquelle on avait gratifié le candidat-président d'un score brejnévien de plus de 90%.