A près une longue attente, le juge du pôle pénal spécialisé d'Alger, chargé de l'enquête sur l'assassinat des sept moines de Tibhirine, est autorisé à entendre, dans le cadre d'une commission rogatoire, deux anciens des services secrets français, à savoir Pierre Le Doaré, ancien chef d'antenne des services secrets français (DGSE) à Alger (1994-1996), et Jean-Charles Marchiani, ancien officier du même service et ex-préfet du Var. Le premier avait reçu un émissaire du GIA dans les locaux de l'ambassade de France à Alger, qui lui avait remis une preuve de vie des religieux en captivité, et le second avait été chargé par le président français, Jaques Chirac, de mener des négociations avec les auteurs du rapt, mais le Premier ministre, Alain Juppé, y a mis fin, ce qui a provoqué, selon Marchiani, l'exécution des sept otages par le GIA. Selon des sources proches du dossier, le juge algérien chargé de cette enquête pourra se déplacer en France pour entendre les deux personnages sur le volet relatif aux tractations entre les services secrets français et le GIA. Cette audition se fera par l'intermédiaire du juge français, Marc Trévidic, qui instruit l'affaire depuis 2007 et qui avait déjà entendu, en 2012, les deux anciens responsables sur le sujet. Leurs révélations, dont quelques-unes ont été publiées par la presse française, n'ont fait que confirmer ce que de nombreux terroristes repentis, élargis et détenus, ont déjà affirmé, entre 2004 et 2005, lorsque le tribunal de Médéa avait rouvert le dossier. Ils avaient fait état de négociations entre Djamel Zitouni, alors émir du GIA, et la France, pour la libération des moines, sans que les autorités algériennes n'en soient informées. Selon Fethi Boukabous, le bras droit de Zitouni, des tractations ont été menées dans le dos des services algériens et ont permis l'envoi d'un émissaire français au QG même du GIA. Rejet des négociations Le guide qui a accompagné ce dernier a révélé l'avoir escorté depuis le quartier des Eucalyptus, où il lui a été remis par Hocine Flicha, le chef de la katibat El Maout (phalange de la mort) du GIA, qui activait à Alger, jusqu'au fief de Zitouni. Ces négociations n'ont finalement pas abouti pour des raisons qui restent encore floues. Pour Marchiani, c'est son retrait du circuit et l'annonce par le Premier ministre, Alain Juppé, du rejet de toute négociation avec le GIA, qui ont précipité l'exécution des moines. Il avait déclaré : «Alain Juppé a signé l'arrêt de mort des sept moines de Tibhirine, en stoppant net la mission de négociations que je menais et qui était sur le point d'aboutir.» Pour sa part, Pierre Le Doaré a lui aussi pointé un doigt accusateur vers son gouvernement en disant : «Plusieurs rapports avaient été émis du poste d'Alger durant l'affaire, mais aucun n'a été versé à la procédure.» Il avait rappelé le contenu du rapport qu'il a rédigé sur sa rencontre avec Mustapha Abdallah, l'émissaire du GIA, un ancien agent de l'ambassade de France à Alger, dont le dossier a mystérieusement disparu. Son frère faisait partie des quatre terroristes abattus en 1994 par le GIGN à la suite du détournement de l'Airbus d'Air France. Des faits assez importants qui méritent d'être approfondis pour lever le voile sur les circonstances de l'assassinat des sept moines. Pour le juge algérien chargé de ce dossier, il est important que les deux parties en quête de vérité puissent mener leur enquête dans la sérénité et en ayant entre les mains toutes les pièces du puzzle. «Tout comme de l'autre côté, on veut entendre une vingtaine de personnes pour savoir ce qui s'est passé entre les 26 mars et 30 mais 1996, il est tout à fait normal que du côté du juge algérien, on cherche la vérité sur ce qui s'est passé entre la DGSE et les auteurs de l'enlèvement», souligne notre source. Il y a quelques jours, le 17 juillet dernier, le Quai d'Orsay a confirmé, par la voix de son porte-parole, la demande du juge algérien concernant l'audition des deux anciens membres des services secrets en disant qu'elle devra être examinée. «Il y a une coopération judiciaire entre nos deux pays. C'est dans ce cadre que la demande devra être examinée», avait-il lancé en précisant à propos de la visite retardée de Trévidic en Algérie, qu'«une date doit être trouvée, en accord avec les autorités judiciaires algériennes. Ce processus est en cours. Il relève du ministère de la Justice. Maintenant que les deux parties se sont entendues sur la nécessité d'enquêter sur un pied d'égalité (…). De l'autre côté, on veut entendre une vingtaine de personnes pour savoir ce qui s'est passé entre les 26 mars et 30 mai 1996, tout comme du côté algérien, il est important que le juge sache ce qui a pu se passer entre la DGSE et les auteurs de l'enlèvement.» Reste maintenant à fixer les dates pour les auditions (en France) de Pierre Le Doaré et de Jean-Marc Marchiani dans le cadre de la commission rogatoire, et faire en sorte que seule la quête de vérité doit primer sur toute autre considération liée à la politique ou aux luttes de service.