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Les citoyens face au diktat des chauffeurs de taxi
Surfacturation, trajets restreints, incivisme...
Publié dans El Watan le 12 - 08 - 2014

Je ne sais plus à quel saint me vouer. Cela fait plus d'une heure que j'attends un taxi pour aller à El Biar, mais aucun de ceux qui sont passés par là n'a voulu m'y emmener. Ils disent tous que ce n'est pas leur chemin. Où est donc la loi ?» C'est avec une colère très mal contenue que Djamila, une employée administrative, rencontrée près de la station de bus de Bir Mourad Raïs, fait part de son indignation.
Une irritation somme toute justifiée, vu que de l'avis de beaucoup, les chauffeurs de taxi «en font un peu trop». En effet, il est désormais de notoriété publique que des chauffeurs refusent de déposer les passagers là où ces derniers le désirent. «Ils préfèrent les grandes artères, telles que la place Audin, le Golf ou le 1er Mai pour gagner plus d'argent en peu de temps, et avec le maximum de passagers à la fois», explique-t-elle. C'est pourtant contraire à la loi qui interdit le jumelage. Pis, certains chauffeurs refusent de prendre les familles. «Entre nous, cela ne me rapporte pas grand-chose d'embarquer une famille. Je vous donne un exemple : si je prends trois personnes qui vont au même endroit et qui sont ensemble, c'est comme si une seule personne seulement payait.
C'est pourquoi je fais du jumelage», indique Hassen, chauffeur de taxi à Alger. Selon lui, faire le «taxieur» est un travail ingrat, c'est pourquoi «il faut se débrouiller comme on peut». Se débrouillent aussi comme ils peuvent les citoyens qui se retrouvent livrés à eux-mêmes face au diktat des chauffeurs de taxi. «On a l'impression que les taxis fonctionnent comme les bus, en desservant une ligne bien précise. Mais jusqu'à preuve du contraire, un chauffeur de taxi est dans l'obligation d'emmener son client là où ce dernier l'exige et comme le stipule la réglementation.
En plus de ça, le comportement de beaucoup de chauffeurs laisse souvent à désirer : façon de parler grossière, voire agressive, tenue vestimentaire inadéquate», proteste, à son tour un septuagénaire qui voulait se rendre en taxi de la place du 1er Mai à Ben Aknoun. Selon lui, le chauffeur de taxi lui a tout simplement signifié que ça ne sera pas un tarif calculé au compteur, mais une… «coursa». Quel tarif donc ? «Il a exigé 700 DA pour me déposer à l'hôpital de Ben Aknoun. C'est tout simplement aberrant. Indécent. Que l'Etat réagisse enfin et mette fin à ce diktat», explose le client âgé. Jugez-en donc, 700 DA pour une distance de 9 km en plein cœur de la capitale. Le chauffeur, placide, prétend qu'il y a des embouteillages sur ce tronçon. «Et puis, je vais revenir vide, c'est pourquoi 700 DA est à mon avis raisonnable. C'est le tarif pratiqué par tous les chauffeurs stationnés ici», se justifie-t-il.
Et à propos, c'est une file d'une vingtaine de taxis stationnés non loin de la station de l'Etusa de la place du 1er Mai (ex-Champ de manœuvres). «Ça ne nous arrange pas de sillonner la capitale à la recherche de clients. Ce n'est pas ça qui nous permettra de nourrir nos familles. C'est pourquoi on fait des courses», plaide Mohamed, un autre chauffeur. Ces dépassements ne sont-ils donc pas punis par la loi ? «Voyez par vous-mêmes, il y a des policiers partout et on n'est jamais inquiétés.
S'ils ne disent rien, c'est que ce n'est pas interdit par la loi», répond-on. Une file identique est bien visible à Ben Aknoun, juste devant l'hôpital. Et surtaxer les itinéraires semble devenir une habitude chez de nombreux chauffeurs, et ce, au mépris de la loi. 600 DA pour aller de la place du 1er Mai à Bir Mourad Raïs ; 800 DA pour aller de Ben Aknoun à la place Audin ou à Birkhadem ; 800 DA pour aller de l'aéroport Houari Boumediène à la gare routière du Caroubier ; 600 DA pour aller d'El Kettani à Hussein Dey… et ce n'est que la partie apparente de l'iceberg. Et ces pratiques son de plus en plus signalées par les citoyens, exacerbés par l'absence des autorités, alors que tous les moyens sont bons pour gonfler les factures.
Dépassements et laxisme des autorités
«Il y a beaucoup de chauffeurs qui trouvent le moyen de trafiquer leur compteur, mais pas seulement : ils vous font subir de longs détours que rien ne justifie, ils surfacturent en prétextant les embouteillages… Mais c'est normal qu'ils agissent comme cela du moment que les autorités observent un silence pour le moins encourageant», déplore Yazid, chauffeur de taxi depuis bientôt une vingtaine d'années. Outre ces dépassements, les citoyens regrettent également que certains chauffeurs de taxi véreux profitent des heures tardives ou des jours fériés, comme les vendredis où les taxis se font rares, pour monter les tarifs d'une manière «indécente». Par ailleurs, il y a la prolifération des clandestins qui, en plus leur illégalité, pratiquent des tarifs qui dépassent tout entendement. «Ils sont bien malins.
Généralement, ils exercent là où les taxis n'assurent pas de couverture et où les bus, métros et tramways manquent, obligeant les citoyens à faire appel à leurs services, monnayant des sommes exorbitantes», indique Mounir, journaliste, qui se voit souvent obligé de louer un clandestin, faute de taxi ou de bus. «Pour aller d'El Achour à Ben Aknoun, je dois débourser chaque matin 400 DA. Les bus sont rares et extrêmement lents. Quant aux taxis, ils sont tout simplement introuvables dans cette région. C'est ce qui ouvre grandes les portes aux clandestins qui profitent de cette situation», ajoute-t-il. Et pourtant, comme son nom l'indique, le travail de clandestin est illégal. Hélas, ils exercent en toute quiétude, vu l'absence des autorités, qui demeurent sourdes aux protestations des citoyens.
Preuve en est, la longue file de clandestins à proximité du barrage de la Gendarmerie nationale à Baba Ali, ou encore celle du point nommé La Côte, entre Birkhadem et Bir Mourad Raïs et également à proximité d'un barrage de police. «Si des policiers font appel à nos services, c'est que ce n'est pas vraiment un travail interdit. Et puis on rend service aux citoyens. Imaginez une femme qui se retrouve seule, le soir et il n'y a ni taxi ni bus», se défend Mohamed, clandestin. Mais peut-on parler de service rendu là où il n'y a qu'arnaque ?
«Ne les accablons pas trop, ces chauffeurs de taxi !»
C'est là l'appel de Hocine Aït Brahem, responsable du Syndicat des chauffeurs de taxi. Et pourtant, nombreux sont ces mêmes chauffeurs qui adoptent des comportements et des pratiques pour le moins scandaleuses. «Je suis obligé de les défendre parce que je les comprends, sans pour autant défendre la débandade qui caractérise ce secteur.
Les lois et la bureaucratie ne leur laissent aucun droit», martèle-t-il, soulignant que les textes de réglementation méprisent les droits des chauffeurs de taxi qui sont au nombre de 150 000 à l'échelle nationale dont 16 000 à Alger. Selon lui, si les chauffeurs recourent au jumelage, c'est à cause d'une pénurie de taxis que connaît le secteur. Pour ce qui est de la surfacturation, Aït Brahem répond que la tarification actuelle est de 15 DA le kilomètre, alors que la prise en charge est de 20 DA (le compteur commence à tourner à 20 DA).
De 1992 à 2003, cette dernière était de 6 DA «et pendant ces 11 ans, la tarification est restée la même alors que le prix du litre de l'essence a augmenté quatre fois, passant de 3,5 DA à 14 DA. Le pneu, lui, coûtait 1500 DA, alors qu'aujourd'hui on ne le cède pas à moins de 3000 DA». Une telle situation a, d'après Aït Brahem, poussé les chauffeurs de taxi à «ruser avec la loi, sinon ils ne s'en sortiraient pas. Mais après que les textes de loi eurent été révisés, les chauffeurs de taxi ont malheureusement gardé ces fâcheuses habitudes».
Pointant du doigt la bureaucratie, les lenteurs de l'administration et les passe-droits, Aït Brahem a appelé à l'allègement du dossier à fournir par ceux désireux d'obtenir un permis de place. Mieux, il a appelé différentes parties : ministère des Transports, syndicats, citoyens, chauffeurs de taxi et services de sécurité à avoir une réelle volonté pour en finir avec «ces comportements qui entachent la profession de chauffeur de taxi». Il a également dénoncé le fait que les chauffeurs de taxi dépendent toujours des licences octroyées aux moudjahidine pour exercer. «Aujourd'hui, la demande dépasse l'offre. En plus, c'est injuste qu'une personne dépende d'une autre personne pour travailler et nourrir sa famille», déplore-t-il.
De son côté, Hadj Boulenouar, porte-parole de l'Union nationale des commerçants et artisans algériens (UGCAA), estiment que les chauffeurs de taxi souffrent de beaucoup de problèmes, dont le manque de stations de taxis et la concurrence déloyale des clandestins. Mais peut-on parler de concurrence, quand on sait que les clandestins pratiquent des tarifs au minimum dix fois supérieurs à ceux pratiqués par les chauffeurs de taxi ?
Toujours est-il que M. Boulenouar dénonce les chauffeurs coupables de dépassements et appelle à réglementer ce secteur. «Pour régler définitivement ce problème, il faut que les autorités compétentes règlent les problèmes auxquels sont confrontés les chauffeurs de taxi», souhaite-t-il d'une part, et appelant d'autre part les parties concernées, notamment les services de contrôle, à hausser le ton devant les chauffeurs réfractaires. «Il ne faut plus les soumettre à des amendes, mais carrément au retrait du permis de conduire. C'est de cette manière qu'ils apprendront à respecter la loi», conclut-il. Et en attendant le respect de cette loi, les citoyens demeurent sceptiques et continuent à faire les frais de chauffeurs de taxi capricieux.


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