L'émir Selmane Bin Abdelaziz a entamé une visite d'Etat en France depuis hier. Au menu des discussions, l'armement de l'armée libanaise, le dossier syrien, mais aussi et surtout la lutte contre l'Etat islamique. Du côté français, cette visite revêt une importance particulière. Paris cherche à glaner de nouveaux contrats et à s'imposer comme un partenaire privilégié de Riyad. Eclairages de Hasni Abidi, directeur du Global Studies Institute à l'université de Genève. - Quels sont, selon vous, les principaux enjeux de la visite qu'effectue l'émir saoudien en France ? Il s'agit d'une visite de haute importance pour trois facteurs : d'abord, du fait que le roi Abdullah ne se déplace plus à l'étranger en raison de sa santé déclinante. Le prince héritier Sultan Ben Abdelaziz effectue une visite aux allures d'un chef d'Etat. Les relations entre Paris et Riyad sont depuis longtemps du domaine réservé au prince héritier. Nous sommes dans une continuation cohérente des relations entre les deux pays. Le prince Selmane est un homme clé dans le royaume. C'est un membre du clan Sudeiri et bénéfici d'une grande estime auprès de tous les membres de la famille Al Saoud. - Quels sont les sujets prioritaires qui vont être discutés entre les deux présidents ? Et que cherche Riyad auprès de Paris ? Selmane Bin Abdelaziz est ministre de la Défense. Le menu des discussions sera varié, mais les relations dans le domaine militaire sont à l'affiche. Paris est un fournisseur d'armes de choix pour le royaume, ce qui implique une révision constante des accords de défense et des collaborations en matière de formation et d'exercices militaires entre les deux pays. - Qu'attend Riyad de Paris en termes de lutte contre le terrorisme en général et contre l'Etat islamique en particulier ? Dans le royaume, c'est un sujet à la mode en ce moment. Le roi Abdullah Bin Abdelaziz ne cesse de marteler que l'ennemi majeur du monde s'appelle le terrorisme. Il remet au jour l'idée d'un centre de recherche sur ce fléau, mais ça n'intéresse personne. Le grand mufti lance une fatwa qualifiant l'Etat islamique de terroriste. Une première. Vendredi, en recevant des diplomates étrangers, le roi saoudien hausse le ton et déclare : «Si vous ne faites rien, le terrorisme arrivera sûrement chez vous. François Hollande est prévenu.» Le royaume veut imposer ce thème au sommet organisé par l'Elysée et un soutien français dans la démarche saoudienne. - Pensez-vous que le dossier d'armement de l'armée libanaise va être au menu des discussions ? Et pourquoi est-il bloqué ? Il sera primordial. Le Liban a un thème qui cimente les relations entre les deux pays. L'entente est totale sur le sujet. Riyad finance une livraison d'armes importante à l'armée libanaise qui constitue une assurance pour la stabilité du Liban. Mais le choix du président libanais va sûrement s'inviter à la négociation. - L'Arabie Saoudite se rapproche-t-elle plus de la France au détriment de sa relation avec les USA ? Si oui, pourquoi ? Obama constitue une exception dans les rapports entre Washington et Riyad. Sa gestion du dossier syrien et ses hésitations internationales et son empressement à normaliser avec Téhéran ont irrité les Saoudiens. D'ailleurs, les hommes de Washington à Riyad se font discrets. Mais, il est illusoire de croire à une quelconque refonte stratégique des relations saoudiennes et américaines. Elles restent solides depuis 1945 déjà. Elles sont basées sur un principe forgé par Abdelaziz Ben Saoud : pétrole contre sécurité. Jamais Washington ne se laissera dépasser dans ses liens privilégiés avec Riyad. - Qu'attend Paris de la part des Saoudiens en revanche ? Une redynamisation des rapports économiques et une relance soutenue sur le plan politique. Mais, la complexité du système saoudien avec un roi Abdallah en fin de course complique un peu les choses. En coulisses, pour la succession, il est difficile d'espérer un changement dans l'immédiat dans la gestion politique et économique des relations bilatérales. - Comment Paris s'organise-t-il pour muscler sa relation économique avec Riyad ? Et quels sont les secteurs-clés développés entre les deux pays ? Riyad est reconnaissant au président Hollande quand il a annoncé au début de son investiture sa volonté de rééquilibrer ses relations au sein du CCG après le penchant prononcé pour le Qatar de son prédécesseur. Mais l'Arabie Saoudite ne sacrifiera pas pour autant sa relation privilégiée avec Washington. D'où le statu quo dans la politique étrangère française. Aujourd'hui, les deux pays veulent dissocier le politique de l'économique et intensifier leurs échanges commerciaux. La défense et les échanges commerciaux sont les thèmes dominants.