Plus d'une dizaine de chansons de son riche répertoire ont été interprétées face à un public tellement nombreux que les organisateurs eurent du mal à contenir les excès. Du haut de sa carrière, maintenant bien accomplie, l'enfant d'Eckmühl revient sur ses pas et se souvient sans doute de son tout premier passage, il y a une vingtaine d'années, sur cette même scène. Je suis parti à l'aventure, je ne savais pas ce que j'allais devenir », confiait le chanteur algérien lors d'un point de presse improvisé en fin d'après-midi. Il est devenu un artiste mondialement connu et le festival de 1985 lui avait, à l'époque, donné l'occasion de faire son baptême de la scène. « Quand on avait proposé à Cheb Khaled de participer au festival en montant sur scène, il a été étonné et nous a dit : qu'est ce que je vais faire là bas ? », témoignait Mme Belkirane, aujourd'hui décédée, mais qui a joué un des grands rôles dans l'organisation de ce qui reste le festival historique du raï. Cette catégorie de la chanson algérienne venait alors d'émerger de l'underground oranais, et chanter sur scène était, auparavant, tout simplement inconcevable dans les têtes des nombreux chanteurs et chanteuses qui fréquentaient plutôt les cabarets et, heureusement, les maisons de disques. Khaled jouissait pourtant déjà d'une notoriété certaine acquise depuis la fin des années 1970. De cette période, il revient sur trig elici (la rue du Lycée), un titre qu'il a revisité avec une instrumentation et des arrangements élaborés qui contrastent avec les accompagnements rudimentaires disponibles durant sa tendre jeunesse. Venu à Oran sans ses musiciens habituels, il a trouvé, en les éléments du groupe accompagnateur Liberté, une oreille attentive aux directives qu'il devait leur donner pour une prestation optimale, lors d'une séance de répétitions effectuée dans l'après-midi. Des indications par-ci, des formules ironiques par-là, son air décontracté on le retrouve tout aussi bien sur scène. Mais ce qui a fait que Khaled devienne le roi du raï, c'est évidemment sa voix. Une voix hors du commun et avec laquelle il passe aisément d'un registre à l'autre. Démonstration faite avec Sallou âla nbi (priez pour le Prophète) avec lequel il devait entamer son show. Cette invocation qui, dans la tradition ouvre toujours les célébrations cérémonielles, lui a apparemment servi d'échauffement et de préparation. Cet air est tellement enfoui dans la tradition, qu'il se permet de le restituer, à sa manière, avec ses jeux de voix qui enchantent un public déjà en délire. Avec Wahran, c'est sa ville natale qu'il revisite non sans une nostalgie qui caractérise également le texte. Il enchaîne avec Bakhta, une adaptation d'un classique du melhoun de Abdelkader El Khaldi et où les deux versions du chant traditionnel et moderne coexistent sans s'opposer. Sa capacité à monter dans les aigus à partir des tonalités graves qui caractérisent le chant des chouyoukh séduisent le public et lui fait pardonner les entorses faites aux textes, une pratique répandue dans le monde du raï. Les puristes lui reprochent ainsi d'avoir dévoyé shab el baroud. Peu importe. Quand on voit un public déchaîné formé par des centaines de jeunes répéter après lui, on se dit que ce titre est plutôt sauvé de l'oubli malgré ses carences. Avant d'entamer ce titre, il demandera aux musiciens d'accélérer la cadence. heddaoui ! (Un rythme spécifique), lancera-t-il à ses musiciens, plutôt aux percussionnistes qui vont chauffer la scène et faire monter d'un cran une ambiance déjà débordante avec ya ldjillali daoui hali. Khaled interprète Yamina et, comme pour détendre l'atmosphère, il chantera welli l'darek (retourne chez toi) sur une musique aux sonorités reggae. Après El herraba, il enchaîne avec Aïcha, un autre grand succès planétaire composé par Jean-Jaques Goldman. Le retour au rythme s'effectue avec Chebba, un parmi les succès du début des années 1990 qui vont non seulement propulser un peu plus le chanteur algérien sur la scène internationale, mais aussi marquer une rupture par rapport à une pratique purement oranaise du raï et ses rythmes conçus pour des pas de danse spécifique. Khaled tente un raï plus moderne sans jamais perdre de vue la tradition, car il revient toujours aux origines. Lors de la conférence de presse, il précisera néanmoins qu'étant jeune, il avait eu à écouter aussi les musiques venues d'ailleurs comme le style oriental dans lequel il dit exceller. C'est sans doute un honneur pour la chanteuse libanaise Diana Haddad d'avoir chanté en duo avec un artiste dont les chants de son pays n'ont aucun secret pour lui. Il était par contre ravi d'avoir participé à ce duo, eu égard aux événements vécus par la population de cette partie du monde proche et en même temps lointaine. Tout au long de la soirée, on lui a fait porter le drapeau algérien puis le drapeau libanais et, enfin, le fanion symbole de la résistance palestinienne. Pendant tout ce temps-là, le public n'a pas cessé d'envahir les devants de la scène, appareils photo en main pour tenter de figer un ultime souvenir. Khaled a clos son show avec la camel, ce projet pétrolier porteur de richesse pour les ouvriers de l'Algérie post-indépendante et qui a inspiré les artistes. Il devait, hier, prendre un vol pour un spectacle à l'étranger. Lors de la conférence de presse, il a confirmé qu'il était venu spécialement pour le festival du raï et qu'il a choisi de se produire jeudi pour ne pas perturber son programme international. « Je vais faire six escales », a-t-il annoncé comme pour signifier qu'il a fait des sacrifices pour ne pas décevoir le public et les organisateurs. Ces derniers, à leur tête Hadj Meliani, commissaire du festival, l'ont sollicité depuis des mois. Avant de faire son entrée au milieu de la soirée, quelques chanteurs ont assuré la première partie. Réda, un jeune raïman d'Oran mérite une attention particulière. Le public le connaît déjà à travers Sara, un titre qui fait recette. Réda a rendu hommage à cheikh Fethi, une des figures mémorables du raï avant d'interpréter Elaâchk hbal (l'amour est folie), Rani m'âouel (je suis décidé) et, Roubla. La soirée qui devait se poursuivre jusqu'à une heure tardive de la nuit devait être caractérisée par le passage de deux grands ténors adulés localement que sont Abbas et Djelloul. Même éclipsés par la renommée de Khaled, avec ces deux là l'ambiance est assurée.