Ils étaient seize à faire la loi dans les Aurès. Seize «bandits», pour le colonisateur français, qui ont rejoint le maquis de 1946 à 1954 pour l'honneur du peuple des Aurès. «Les bandits d'honneur» menaient, sans aucune aide, leur révolution bien avant le groupe des 22. En 1950 ils étaient condamnés à mort. En véritable Arsène Lupin, ils volaient et menaçaient les riches caïds, redistribuaient les butins, régulaient même la vie sociale. On les connaissait, on avait confiance en eux. Hocine Berhayel, Grine Belgacem, les deux frères Ben Salem Habachi de Ain Mlila, Dernouni Ali… et parmi eux, le jeune homme Ahmed Gadda, déjà véritable révolutionnaire à l'âge de 13 ans. Il est leur unique représentant encore parmi nous, le dernier bandit d'honneur, Ahmed Gadda, 80 ans et un état de santé très dégradé, résiste encore à la falsification de l'Histoire. Dans sa maison, située à l'entrée de la commune de Tazoult (10 km à l'Est de la ville de Batna), il nous a accueillis avec le sourire, bien qu'affaibli, alité et ne parlant qu'en salves balbutiantes, ne nous consacrant de son temps que celui décidé par sa santé défaillante. Il s'est efforcé, alors, à raconter «la véritable Histoire», sa version des faits. «Il a toujours été très critique vis-à-vis de la falsification de l'histoire. Il ne critiquait pas le système actuel puisqu'il voyait que la cause d'un tel dérapage n'était nulle autre que cette falsification. Ça lui a coûté sa santé car il a eu un AVC suite à la célébration du 60ème anniversaire de la déclaration de la révolution à Alger. Il s'était énervé à cause des contrevérités proférées devant lui», nous a confié son fils Samir. Exceptionnel, ce grand monsieur de l'Histoire des Aurès et de l'Algérie, originaire de Chenouara ( Tkout), est le plus atypique des Moudjahidine. Franc, direct, sans concession et surtout sans butins de guerre tiré par une quelconque légitimité historique il raconte qu' «en 1946, tout le monde avait peur des caïds. À l'âge de 13 ans, je leur adressais des lettres de menaces. J'ai été arrêté et emprisonné pendant 15 jours avant que Hocine Berhayel ne menace ces caïds pour qu'ils me laissent sortir. Ma fuite a donc été organisée et c'est là où j'ai rejoint le maquis». L'horreur de la colonisation était telle qu'à son très jeune âge, il avait décidé de lutter à n'importe quel prix. C'est pour cela qu'après son évasion. Il a vendu 4 terrains de plusieurs hectares pour une somme dérisoire. Avec cette dernière, il a pu s'acheter une arme et rejoindre les 15 autres compagnons. Le congrès de la soummam Au 1er novembre il avait 19 ans et presque sept ans derrière lui au maquis. Sur cela, il dira que «Benboulaïd a fait confiance aux bandits d'honneur, vu leur courage et ce qu'ils avaient déjà accompli», précisant que «Personne ne nous commandait. Certes, Mostefa était responsable de région, mais nous étions autonomes. Je m'occupais d'une opération à Biskra». Le congrès de la Soummam, considéré par beaucoup comme pierre angulaire de la révolution algérienne, n'est que «Mou'tamar essoumoum» (congrès des poisons) pour notre interlocuteur. «Benboulaid nous a envoyé en Kabylie quelques mois avant la Soummam. C'est le colonel Amirouche qui nous avait accueillis alors, et a pris soin de nous. Krim Belkacem, lui n'a pas voulu nous recevoir. C'est là où j'ai su qu'il convoitait le commandement. Le congrès de la Soummam est contre l'Algérie. Ses membres ont désigné un commandement avec qui nous n'étions pas d'accord. Ils se sont attribués les bons rôles et ont volé le pouvoir, alors que le pouvoir est au peuple et c'est la position que nous défendions». Contrairement à la majorité écrasante des moudjahidine, M. Gadda n'a pas voulu de poste de responsabilité après l'indépendance. «À 22 ans, j'ai «divorcé» avec les responsabilités», s'amusait-il à dire. Durant sa vie, il a occupé le poste de président de l'union des commerçants, «pour aider», selon son fils. Bien qu'une aide lui ait été proposée par plusieurs responsables, pour une hospitalisation en 24h à l'hôpital d'Ain Naâdja, M. Gadda Fidèle à ses principes, l'a refusé. Ahmed Gadda faisait partie des bandits d'honneur avant la révolution. Après l'indépendance, il a vécu en Homme d'honneur, et le sera jusqu'à son dernier souffle.